DULIEU Axel
VERLA Élène
Quelque part, le 2 avril 2016Chère Élène,
Tu sais, j'ai bien reçu ta précédente lettre, celle où Peter Pan danse avec toi dans ton petit studio, où le soleil traverse ta fenêtre, caresse ta peau...
Il se dévoile à peine, ici.J'ai toujours autant de mal à organiser mes idées, ce sont mes mots qui en pâtissent. Ce sont eux qui s'embrouillent au milieu de la feuille.
Je m'en excuse par avance.Tu le sais aussi, mais tu es la seule personne que je connaisse qui pourrait comprendre que je sois triste et heureuse simultanément.
C'est un fait simple pourtant.Je te raconte ceci, parce que c'était l'un de ces jours.
Celui où quelque chose d'étrange flotte juste là, autour de moi.
C'était étrange car inexplicable, évidemment.
C'était l'un de ces jours où l'on n'est ni triste ni heureux.
Un peu des deux, comme je te le disais.
On est gris.Et je me balade souvent, tout comme toi, au beau milieu de nulle part. Peu importe où, ce qui importe c'est d'errer d'endroit vers endroit.
Alors je suis sortie.
J'ai marché, et j'essayais juste de trouver où j'allais.
Et les paysages défilaient, je voyais les arbres passer près de moi, leurs feuilles vertes et le trottoir si gris, celui qui reflétait si bien les nuages au dessus de ma tête.
Je suis arrivée dans un parc; celui où on avait erré justement, la dernière fois que tu es venue ici.
Les façades des maisons censées être éclatantes, la multitude de couleurs lumineuses des fleurs qui parsèment le sol... tout m'a paru bien plus fade.
Je me suis assise sur un banc miteux, et je n'ai rien fait.
J'ai regardé les passants passer, comme ils savent si bien le faire.Tu sais, j'ai toujours aimé regarder les corps, les visages, et imaginer une vie distincte pour chacun d'eux.
Peut être que j'aime bien "l'esthétique d'être". Je ne sais pas.
J'aurais aimé que tu sois là, pour voir ces gens se mouvoir, courir, marcher, écouter de la musique, tenir la main de leurs enfants; ceux qui s'émerveillent encore de tout, ceux qui sont encore bariolés de teintes diverses et extravagantes, ceux qui sont encore "joyeux, innocents et sans cœur", ceux qui n'ont pas honte d'un rien...
Pas encore du moins.Je ne leur ai trouvé qu'un seul grand point commun à ces adultes moroses.
Oui, je te l'accorde, ils avaient bien deux yeux, deux jambes et étaient tous dans ce même parc, mais surtout ils ne souriaient pas.
Des visages mornes, avec des lèvres qui s'étirent d'un air faux, des regards vides, enfermés dans leur bulle de problèmes de grands.Puis, je l'ai vu.
La personne en tout point de vue banale, mais avec ces yeux qui pétillent de rien et un sourire... un Sourire.
Cette vielle dame, toute fripée, seule et habillée de pastel.
Sa jupe se fondait si bien avec les fleurs des jardins, si tu savais.
Elle était magnifique. Son sourire resplendissant.
Où étaient passés ces nuages ?Un sourire que beaucoup aurait qualifié de futile, mais qui pour moi rayonnait.
J'ai ressenti quelque chose, une chose qui s'est répandue dans tout mon corps.
C'était juste une vague chaleur. Douce et réconfortante, de celle que j'aurais voulu ne jamais quitter.
Elle ne m'a pas mise dans un état d'euphorie intense, mais juste dans un calme et une sérénité si justes que, oui, j'aurais voulu rester près d'elle pour toujours.
Dans cette caresse si tendre.J'ai essayé de comprendre pourquoi ce sourire m'avait rendu si heureuse.
Je n'ai pas compris tout de suite.
Puis une lumière s'est éclairée dans ma tête, comme dans le ciel d'ailleurs.
J'avais besoin de sincérité, de cette joie innocente et franche, du partage inconnu... pas de cette vie d'adulte.
Chacun se renferme ici-bas.
Je veux que ces personnes dont je ne sais rien me reconnaissent comme individu à part entière, me voient et me sourient; pour que je puisse enfin avancer vers cet avenir si flou et qui me paraît insurmontable.C'était comme une fleur.
Je n'avais pas besoin d'explosion d'extase avec de grandes couleurs criardes, juste de pétales de bonheur.
J'avais besoin de contes, de couleurs fondus, de vrai et de rêves, un peu aussi.Son sourire arc-en-ciel avait chassé ces tâches si tristes, ramené les odeurs si festives du printemps, rendu leur éclat aux fleurs, aux arbres, à la rosée encore fraîche, à ces gens qui regardent le sol, les bras ballants dans ce parc.
Ce sourire m'était destiné. Sans raison particulière.
Juste parce qu'elle était là, la vielle dame.
Et ça m'a fait tellement de bien.Elle m'a rappelé pourquoi on s'était promise de ne pas grandir.
J'espère que toi aussi, tu rencontreras un jour cette personne si candide que tu auras l'impression d'être redevenue une enfant.
Ton amie qui t'aime et te sourie sans gris.
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