Chapitre 1

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- Nous sommes prêts à entrer dans l'appartement 805.

Le milicien sous moi dans l'escalier géant sourit de libération.

- Le dernier et on pourra tous rentrer. Ce sera finit.

Nous lui rendons tous notre sourire et celui devant moi enfonce le bélier dans la porte en bois massif.

Depuis mon « retour », Kara, Gio et Jera se sont mis d'accord pour redémarrer de zéro avec les riches. Mais pas avant d'avoir fait le ménage. À la fin du Blue Struggle, la demie-guerre de Connors, on a commencé le redressement : la répartition des richesses, l'égalité entre tous, l'ouverture de la première cour suprême pour juger les partisans d'Odiel pour crimes de guerre et complicité de meurtre de masse. Les choses commencent à bouger, maintenant. Dans le bon sens. Dans le sens juste.

La porte s'ouvre en grand en claquant contre les murs derrières elles. J'entre en première suivant des autres soldats de la Garde et deux ou trois du clan de Gio. Le milicien est sur mes talons et couvre la première porte à droite alors que j'avance dans l'entrée du penthouse.
- VOUS NE NOUS AUREZ JAMAIS, VOUS ENTENDEZ? JAMAIS!
Lorsque le clic retentit et que j'entends le roulement, ma voix se porte toute seule.
- GRENADE !
Je couvre de mon corps ceux derrière moi mais je ne suis pas assez rapide. La petite boule explose dans le vestibule de l'appartement et des éclats de bois et de verre volent dans l'espace restreint. Une douleur m'assaille au niveau de la joue et de la mâchoire. Une douleur déchirante qui ne s'en va seulement lorsque l'on m'administre une languette de survie.
- Vous ne guérissez pas. Nam, vous ne guérissez pas.
Les Gardes partent à la poursuite de l'occupant des lieux. Quelques coups de feu résonnent. Puis, plus rien.
La brûlure est vive, indéchiffrable, mais j'ai vécu pire comme douleur, comme celle d'être déchirée en deux.
Ma main monte vers la plaie de mon visage et, quand le bout de mon doigt touche une zone sensible, la douleur revient de plus bel.
- Ça s'est refermé ?, demandé-je au milicien qui tient mon menton entre ses doigts. Alors ?
- Non, madame. La blessure est toujours là, même si elle diminue en intensité. Vous ne devriez plus rien avoir. Même rien avoir eu du tout.

*

Plusieurs années plus tard.

L'eau glisse sur mes doigts alors que le verre déborde sous le robinet.
- Merde !, je peste.
Je lève les yeux vers le petit miroir et examine mon visage. Ces horribles plaques de fer sous ma peau reluisent sous la lumière du néon. Le milicien avait tord. Je n'ai jamais guéris.
Je ferme violemment le conduit et renverse le surplus d'eau dans l'évier de la cuisine. Le verre posé sur le plateau voisin, accompagné d'une assiette remplie d'une purée de patates encore fumante, me semble totalement dérisoire. Ça fait dix-neuf ans que je réitère les mêmes gestes, une fois par semaine. Dix-neuf ans. Et toujours pas de changement. Pas le moindre point positif depuis près de vingt putains d'années.
Mes doigts passent dans les fentes et mes bras soulèvent le plateau. Je sors de la cuisine, passe par le salon et enchaine les marches une à une jusqu'au premier étage de la maison.
La porte est entrouverte. Mon épaule la repousse pour laisser passer le reste de mon corps.
Ses cheveux dorés voltigent dans son dos alors qu'elle vérifie les fils de l'intraveineuse, à l'intérieur duquel coule un liquide couleur bordeaux, presque noir.
- Il faudra refaire des poches, avant que tu ne partes. Il n'en reste plus beaucoup pour la fin de la semaine.
- Je les ai faites avant de venir. Je les ai déjà mise au frais, dans la salle de bain.
- Super, me répond-elle.
Elle se décale et me regarde avec un sourire bienveillant. Je ne le lui rends pas.
Derrière elle se trouve le lit. Le drap et la couverture grise recouvrent ses jambes et une partie de son abdomen. Quand Vera se décale, ses yeux rencontrent les miens.
- Salut, Nam.
- T'as une sale gueule.
Kasey sourit et je le lui rends. À lui. Vera lève les yeux au ciel et nous laisse seuls en refermant la porte derrière elle. Il se redresse sur ses coussins pour pouvoir manger confortablement. Le voir comme ça me fait mal au cœur. Et dire que j'en suis la responsable est totalement et irrévocablement vrai.
Je pose le plateau au-dessus de ses cuisses et il saisit la cuillère et l'assiette alors que je place le torchon sur son torse.
Il a les yeux creux, les cernes noires, la bouche gercée, le teint terne et il tousse sans arrêt. Même après sa mort, Connors et son pluratium continuent de nous pourrir la vie. Surtout celle de Kasey.
- C'est demain, l'assemblée?
- Oui. Tu veux que je dises quelque chose en ton nom?
- Non, tu parleras assez pour nous deux, je pense. Après tout, c'est toi qui est la première concernée. Elle a tenté de te tuer quand même.
Je le regarde en train de manger cette purée. Sa main frêle tremblote mais il agit comme s'il était en possession de tous ses moyens. Mais qu'est-ce qu'il nous est arrivé ?
- J'ai fais tes perfusions. Vera s'en occupera aujourd'hui. Je dois partir pour Osgor demain très tôt. Je dois allée me reposer.
Je me lève et remets mon pantalon correctement. Kasey pose la cuillère dans l'assiette et saisit ma main.
- Fais attention sur la route. Et dis-leur que je les aime.
Je lui souris pour le rassurer.
- Je passerai demain soir pour te faire le compte rendu de l'assemblée. Mais si je rentre trop tard, je te le ferai savoir et je passerai le lendemain matin.
- Nam?
Je m'arrête pour le regarder attentivement. Il a vraiment une sale gueule.
- Berty t'a dis quoi, la dernière fois qu'il t'a vu?, le coupé-je.
- Il m'a dit que je stagnais. On a réussi à le contenir mais je devrais vivre avec toute ma vie.
Je secoue la tête de haut en bas pour finalement la baisser.
- Nam, dit-il en refermant sa poigne sur mes doigts. Tu n'es pas responsable. C'est lui qui m'a rendu comme ça. Tu n'es pas responsable de mon cancer.
- Et pourtant, voilà où on en est.
Je le fuis du regard pour me rejeter vers la porte.
- Vera est très gentille. Elle te rend heureux?
Il hésite mais finit par faire oui de la tête. Je souris.
- Je suis contente alors.
Il ouvre la bouche pour parler mais je lui coupe la parole.
- Bref, mon vieux, j'y vais. Sinon je vais être en retard.
Je profite de son air interloqué pour prendre mes jambes à mon cou et m'enfuis de cette maison. Mon ancienne maison. Celle qu'on avait investi avec Furie avant l'assaut sur Acropolis. Mais c'est finit tout ça. Kasey et moi, c'est terminé depuis près de sept ans.

NAM IV [ON REPREND DU SERVICE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant