Le pilote se lève maladroitement et vient se poster devant moi. Il m'attrape par le bras alors que d'autres commencent à se lever aussi pour suivre la situation. Le pilote m'entraîne vers le fond du vaisseau.
_Vous allez ouvrir la porte et me balancer dans l'espace, dites-moi ? C'est pas un peu dangereux pour nous tous, ici présent?
Le pilote s'arrête et me regarde avec des yeux furibonds. Il lâche sèchement mon bras et se détourne pour fixer Kara.
_ Encore une de vos magouilles sordides ?
_ Non !
Je le crie tellement fort que tout le monde se tait et nous regarde. Je vais me placer devant le pilote et me redresse de toute ma hauteur.
_ C'était mon idée. Je suis la seule responsable. Alors si vous voulez gueuler sur quelqu'un, c'est sur moi, mon cher.
Le pilote continue de fixer Kara. Il commence à m'énerver copieusement, celui-là.
_ Bon, vous avez l'air remonté comme une putain de pendule alors soit je vous fais redescendre cordialement, on oublie cette histoire et vous me laisser faire ce que j'ai à faire soit on va avoir un problème, suis-je bien claire...
Je baisse les yeux sur son badge. Pint. Quel drôle de nom!
_ ... Pint ?
Le pilote revient sur moi et devient un peu plus sévère qu'avant.
_ Vous avez surpassé les ordres du juge Hamnesby et du conseil de sécurité de l'Assemblée. Vous êtes en état d'arrestation pour trahison.
_ En voilà une bonne, tiens ! Et pendant que vous y êtes, pourquoi pas me mettre aux fers ?
*
Parfois, je devrais vraiment, mais alors vraiment, fermer ma gueule.
Le fer est froid contre mes poignets. Je grogne en regardant la nuque du pilote assis à l'avant du vaisseau. Lui, il ne pait rien pour attendre.
_ Mais bon sang, qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête, Nam ?
Gio me sermonne depuis tout à l'heure alors que les autres rigolent. Tout le monde savait que j'allais tout faire pour monter dans cette navette.
_ Maman, t'as été inconsciente.
Pas tout le monde, en fait.
_ Noah, ce n'est pas un homme trop porté sur la goutte à en juger par son visage rouge et bouffi ainsi que d'autres signaux que je n'énumèrerai même pas qui va m'arrêter. Tu devrais le savoir, pourtant.
_ Oui, mais est-ce que t'as pensé aux autres ? Le conseil va croire qu'on t'a aidé ! Que moi je t'ai aidé ! Que Tania t'a aidé !
Je relève la tête vers lui et le fixe. Merde. Je suis vraiment con. Bien sûr qu'ils vont aller chercher des noises à Noah et Tania. Ils sont mes enfants. Ils seront les premiers soupçonnés de m'avoir aider.
_ Je... Je suis désolée...
Noah se place devant moi et croise les bras. Il est... déçu... Je baisse la tête de honte.
_ Ouais, t'es désolée... Comme t'étais désolée quand t'es partie, la dernière fois aussi?
_ Noah !
Tania se lève et le bouscule. Il se renfrogne et s'en va.
_ Tu nous as mis dans la merde, maman ! Bravo !, hurle-t-il en descendant dans la passerelle inférieure.
_ Noah ! Attends, maman, je vais aller résonner cette tête de mule.
Dès le premier pas qu'elle fait, je la retiens au poignet, malgré mes chaînes.
_ Non. Laisse-le se calmer seul. Il a raison.
Ma fille me toise, toujours aussi sévère. Elle finit par suivre son frère. Je soupire en me frottant les yeux. Je sens que l'on me fixe. Je regarde tous les autres et lève les yeux au ciel. Ils finissent par tous se détourner du spectacle. Je m'avachis dans mon fauteuil et fixe mes chaussures. Cependant, un point remue dans ma nuque. On continue de me fixer. Je relève les yeux et remarque une femme approchant des quarante ans me fixer d'un air vraiment triste. Et... Compatissant ? Je regarde son badge : P. Kincade. Je la fixe sévèrement pour la forcer à détourner le regard. Elle finit par céder, à regret.
Je ne suis pas d'humeur, là.
Noah a raison. La dernière fois que j'ai dis que j'étais désolée, je suis partie pendant trois ans sans jamais revenir pour pourchasser le fantôme de ma mère. Quand je suis revenue, il était froid, amer. Il m'en a toujours voulu au fond même si au bout d'un moment, il a arrêté. Mais là, j'ai eu la preuve concrète que non, il ne m'a toujours pas pardonné ces trois ans. Tania n'avait pas été aussi rancunière. Elle avait comprit, dès le début, que j'en avais besoin. Que je me devais de faire ce voyage car j'avais la culpabilité pour les actions de ma mère et de Connors. Et que je devais payer ma dette envers les autres mais surtout envers Aedan. Parce qu'il est mort en vain. Il est mort pour rien.
Et Kasey ?
Kasey avait comprit lui aussi mais pas de la même façon. Il pensait que je faisais ça parce que je ne pouvais pas arrêter de penser à ça, que ça me bouffait parce que je n'en avais pas terminé avec elle. Il pensait qu'elle passait avant ma propre famille. A un moment de ma vie, je l'ai pensé aussi. Au tout début, quand je suis partie. Mais je me suis rendue compte que c'était faux, alors je suis rentrée mais il était trop tard.
Un an. On a survécu un an, lui et moi, suite à mon retour. Puis il a fini par en avoir marre de tout ça alors il est parti. Puis quelques mois plus tard, la maladie est arrivée. Et je me sentais responsable. Ce côté vicieux chez moi est revenu et il l'a accepté au final. Il a accepté mon aide parce que, je crois, qu'au fond de lui, il pense toujours que j'ai ce besoin de me battre contre. Cette envie perverse de vaincre sa maladie parce que c'est ma mère, indirectement, qui l'a causé. Au fond, c'est peut-être vrai. Mais au jour d'aujourd'hui, je n'en suis plus sûre. Tout s'embrouille. Je ne sais plus trop pourquoi je fais tout ça. Mais il y reste une chose très clair dans ma tête, qui en regarde que moi, qui ne concerne ni Kasey, ni mes enfants, ni le juge, ni personne d'autre.
Je ne serai pas tranquille tant qu'elle sera toujours vivante.
Ouais, je sais, elle est immortelle donc je ne peux pas la tuer.
Mais je réfléchis déjà à un autre moyen de l'éteindre.
*
Machinalement, je suis retournée dans le cagibi, désormais ouvert, pour me poser. Toujours menottée, évidemment.
Kara vient me voir.
_ Je vais exiger que l'on te retire ces menottes.
_ Non. Elles me rappellent que je dois arrêter de me conduire en imbécile.
J'appuie fortement le dernier mot. Elle soupire.
_ Écoute, on fait tous des erreurs, par amour, ce n'est pas...
_ Non, Kara. Ce n'est pas de l'amour. Je n'aime pas cette femme, je la hais de tout mon corps et de toute mon âme. C'est sa part sordide qu'elle m'a donné en me donnant la vie. Jamais je ne me reposerai tant que je saurai qu'elle est libre, prête et capable à nous remettre une raclée.
Kara s'accroupit contre la caisse qui tient ma porte.
_ Quand bien même, il n'avait pas à te mettre les menottes. Son petit cul est toujours sur cette planète parce que, toi, t'as abandonné tes jambes à Acropolis. T'es morte pour nous. C'est la moindre des choses de te montrer un peu de respect.
_ Vingt ans, Kara. C'est la nouvelle génération, qu'est-ce qu'ils en ont à foutre d'une tête brûlée qui s'est faite arrachée les deux jambes sur un coup de tête, tu veux bien me le dire?
_ Moi, j'ai quelque chose à en foutre. Sans toi, personne ne serait là.
Je fixe le mur en face de moi et soupire.
_ Noah est énervé mais ça lui passera. Il sait qu'il a réagi sous le coup de la colère.
_ Non. Il ressasse tout ça depuis trop longtemps. Je le mérite, Kara. Je mérite sa colère et ce qu'il m'a dit. C'est moi la responsable. J'ai pris la décision seule de partir. Personne ne m'a forcé.
_ Putain mais quand est-ce que tu vas arrêté de t'apitoyer sur ton sort ? Oui, d'accord, si tu veux c'est ta faute, t'assumes, c'est très bien. Mais pardonne-toi, enfin. Je te connais depuis tout ce temps et tu n'arrêtes pas, Nam. Passe à autre chose. Arrête de te focaliser sur le passé et vois ce que tu peux faire de ton présent et améliorer ton avenir.
Je la regarde en biais. Ok, je ne l'aime pas des masses, Kara. Mais c'est bien la seule qui soit assez couilleuse pour me remettre à ma place.
_ Merci Kara. Merci pour tout.
Kara se relève et arrange sa veste.
_ T'inquiète, les savons, c'est offert par la maison.
Je ris légèrement à cette remarque. Soudain, des bruits de pas martèlent le sol. Mon fils revient, accompagné de sa soeur. Il me trouve et détourne de suite la tête. Ma chère fille n'a toujours pas résonné Noah. C'est pas grave, ça prendra le temps que ça prendra.
_ Nous n'allons pas tarder à arriver. Attachez-vous tous.
Je glisse mes sangles autour de mon buste et boucle mes ceintures.
C'est parti !
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