VI.

55 9 1
                                    



On devrait considérer la nature comme la première merveille au monde. N'est-ce pas magnifique ces levers et couchers du soleil ? Et les formes difformes des nuages ? Et la météo capricieuse ? Et le ciel constellé de mille et une étoiles ? Mais ce que je préfère, ce sont les saisons. Ces quatre saisons qui constituent le cycle répétitif de la vie. Chacune laisse une interprétation libre et diverse sur leurs caractéristiques. Pour moi, le printemps signifie la renaissance ; l'été l'espoir ; l'automne, la nostalgie et la mélancolie ; et l'hiver, le désespoir, la tristesse, la mort. Et puis je trouve que ce sont des paysages tout droit sortis d'un tableau. Plus précisément une aquarelle. Pour la précision des détails, pour la délicatesse des couleurs et pour l'effet de mouvement d'une image fixe.

Que j'aime leurs déclinaisons de couleur. On dirait une palette d'artiste. Ce vert intense de la nature qui reprend ses droits sur un sol encore recouvert d'un blanc immaculé et brillant de mille feux des petits cristaux qui le composent. Ces reflets rouge rosé du soleil sur l'horizon quand il se lève ou orangé quand il se couche. Ce ciel teint d'un bleu nuit profond incrusté d'astres lumineux. Ces instants éphémères permettent de prendre conscience de la beauté de la nature. C'est cette beauté que je veux immortaliser. Je veux montrer au monde sa propre beauté. Je me souviens de ces jours de fugue où les gens ne prenaient pas le temps de regarder le ciel une seconde. C'est une des raisons qui me poussent à devenir photographe. Faire découvrir aux gens ce qu'ils ne voient pas. Les rendre sensibles à ce qu'ils ne perçoivent pas. J'aimerais aussi leur faire comprendre que la nature est ma source d'inspiration. Les gens pourront me prendre pour un fou. Et c'est cette sensibilité qui me permet de prendre des clichés réussis. Enfin c'est ce que me dit Halmeoni et ça me rend heureux.

C'est dans ces moments que je me rends compte de la chance que j'ai. Halmeoni est vraiment adorable. Je ne serais rien sans elle. Elle s'occupe de moi comme si j'étais son propre fils, en veillant à ce que je ne manque jamais de rien. Quand je rentre le soir après de longues heures de travail, elle me prépare toujours un bon petit plat. Elle est pleine d'attention pour moi et je lui en suis reconnaissant. J'aime passer mes moments libres avec elle car elle a toujours une histoire à me raconter ou un vieux disque à me faire écouter. C'est une femme formidable. J'admire tellement Halmeoni que je me dois de réussir ma vie. Elle me dit toujours que sa plus grande fierté serait de me voir réaliser mon rêve. Alors je lui en ai fait la promesse la plus sincère.

Mais que le temps passe vite ! Les jours ne sont plus que des heures et les heures des secondes. Les jours raccourcissent depuis le solstice d'été. Les feuilles vertes ont progressivement rougies mais l'hiver a pris rapidement ses droits. L'hiver et son froid glacial. L'hiver et son ciel gris et menaçant. L'hiver et ses flocons brillant comme des diamants. L'hiver et son manteau blanc recouvrant toute forme de vie. L'hiver et son silence mortel. Tel est le mois de décembre. Pourtant, je devrais m'en réjouir. Noël approche. Depuis le début de la saison, Halmeoni a commencé à décorer la maison. Un petit sapin fraîchement coupé a trouvé sa place dans le salon. Nous l'avons décoré de guirlandes et de boules dorées pour donner une ambiance chaleureuse. Et Halmeoni m'a dit de mettre l'étoile au sommet du sapin. Puis elle m'a dit ce qu'elle pensait de Noël. « Un moment de partage avec ceux qu'on aime. Une bonne ambiance. Un bon repas. Et de la joie ». C'est tout simplement la magie de Noël qui, malheureusement, ne dure qu'une journée et disparaît le lendemain.

Ce jour-là arrive à grands pas. Et la neige tombe depuis ce matin sans vouloir s'arrêter. Des milliers et des milliers de petits flocons se posent délicatement sur le sol déjà blanc. Je peux les regarder par la fenêtre de la cuisine pendant que j'aide Halmeoni à préparer les gâteaux pour ce soir. Je me sens comme un petit garçon impatient qui attend toute la journée l'ouverture de ses cadeaux. Noël redonne à chacun son âme d'enfant. Halmeoni a mis des chants de Noël pour nous mettre un peu plus dans l'ambiance. Et pendant que les biscuits cuisent et embaument la maison de leur parfum cannelle, nous dansons. Nous chantons aussi. Et la neige continue de tomber, encore et encore. Nous tournoyons dans le salon jusqu'à ce que la tête nous tourne. Nous rions et parlons de vive voix, brisant le silence extérieur. Nous déjeunons et dînons dans une musique entraînante Mais la journée est passée trop rapidement à mon goût. Il est maintenant l'heure d'ouvrir ses cadeaux. Je commence par donner le mien. Un paquet rectangulaire. Je n'avais pas vraiment d'idées alors j'ai fait un journal. J'espère qu'il lui plaira. Elle l'ouvre délicatement, les doigts tremblant. Et elle finit par le découvrir. Elle met ses mains sur sa bouche et des larmes coulent sur ses joues. Elle le feuillette et quand elle arrive à la fin, elle me prend dans ses bras. Elle me dit mille mercis et moi je souris. Pourtant ce n'est qu'un simple journal avec des photos et des poèmes. Mais elle aime mon cadeau. Puis c'est à mon tour d'ouvrir le mien. Une petite boîte contenant une enveloppe et une clé. Surpris, je lève les yeux vers Halmeoni qui m'incite à continuer. Alors je prends l'enveloppe et l'ouvre délicatement. C'est une lettre provenant de l'Institut des Arts de Séoul. Il est écrit que je suis admis comme étudiant en photographie et que le directeur avait hâte de me rencontrer. Je relis plusieurs fois la lettre pour m'assurer que ce n'est pas un rêve. Voyant mon incompréhension, Halmeoni m'explique. Elle a récupéré les photos que j'avais ratées et les a envoyées à cette école en se faisant passer pour moi. Elle leur a écrit que c'était mon rêve de devenir photographe et que je mettrai toute ma volonté dans mes études. Elle leur a aussi parlé de mes autres passions, de mon passé, de ma fugue et ma déscolarisation. Elle m'a dit qu'elle est allée là-bas pour parler de moi au directeur. Et il a accepté de me prendre. Elle le savait depuis longtemps mais voulait attendre que je reçoive la lettre. Et la clé est celle d'un petit appartement au centre de Séoul. Je ne sais pas quoi dire. Je suis tellement heureux de pouvoir réaliser mon rêve. Grâce à Halmeoni.

Et pourterminer ce jour de fête, nous avons mis la musique très forte et nous avonsdansé. La neige continue de tomber à gros flocons dehors, mais nous n'y faisonspas attention. Car dans quelques mois, je quitterai Daegu pour partir faire mesétudes à Séoul. Je prendrai la route qui me mènera à mon rêve. Halmeoni à mescôtés.

You never walk aloneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant