VIII.

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Je me réveille lentement au son d'une douce mélodie. Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits et constater que je me suis endormi sur le canapé. Je voulais juste me reposer un peu mais la fatigue a eu raison de moi. Je reste allongé encore un moment et me redresse pour m'étirer. Je jette un rapide coup d'œil à la fenêtre. La nuit est déjà tombée. Je tourne le regard et vois l'horloge du salon indiquer minuit. Je soupire longuement et retire mes écouteurs. Je me lève et me dirige dans la salle de bain. Je fais couler l'eau pendant que je me déshabille et rentre dans la douche quand la buée commence à naître sur les parois de la cabine. L'eau chaude finit de me réveiller et je profite de cet instant pour me détendre. Ces derniers jours sont assez intenses et la pression s'accumulant, ça me rend nerveux. Je n'arrive plus à supporter cette tension. Et puis mon patron qui me prend pour un moins que rien alors que lui ne sait même pas comment fonctionne un appareil photo. J'en ai marre de ce boulot. Jimin me dit que la situation ne peut que s'arranger, mais au contraire, elle se dégrade. L'idée de changer de travail me trotte dans la tête depuis quelques temps. Je crois que c'est ce que je vais faire. Mais ce soir j'ai besoin de penser à autre chose. Prendre l'air me fera le plus grand bien. Je ferme le robinet et sors de la douche tout en enroulant une serviette autour de ma taille. Dès que je suis prêt, je retourne dans le salon. J'enfile ma veste posée sur le dossier du canapé et mets mes chaussures. Je récupère ma sacoche et y mets tout ce qui me paraît nécessaire puis quitte l'appartement en prenant soin de fermer à clé derrière moi.

Le vent est frais mais agréable pour le mois d'octobre. Les mains dans les poches de ma veste, je marche un peu au hasard et finit par me retrouver en plein centre-ville de Séoul. A cette heure tardive, seuls les bars et les boîtes de nuit sont ouverts. J'irai une autre fois avec Jimin. Ce soir, j'ai juste envie d'un peu de calme. Je continue ma route et m'éloigne du bruit. Au bout d'une heure de marche, les mains gelées au fond de mes poches et le corps secoué de tremblements, je décide de rentrer à la maison. Et sur le chemin du retour, une enseigne un peu usée par le temps attire mon attention. Je m'approche et remarque qu'il s'agit d'un bar. Une pancarte est affichée sur la porte et annonce la venue d'artistes inconnus du public. La représentation est prévue ce soir, de minuit à trois heures du matin. Intrigué et frigorifié, j'ouvre la porte et m'engouffre à l'intérieur. La décoration est aussi usée que l'enseigne dehors. La tapisserie, la moquette et les meubles en bois massif donnent à cet endroit un côté rustique, humain et chaleureux. Les rares personnes présentes se sont retournées puis ont continué de fixer la scène vide sans un mot. Il n'y a pas de décoration mis à part quelques instruments de musique sur la scène. Je me sens à l'aise dans cet endroit. J'ai trouvé l'endroit idéal pour passer une bonne soirée. Je me dirige alors vers une table au fond de la salle, éclairée par un néon poussiéreux. La meilleure place pour « être effacé tout en étant présent ». Je m'installe et commence à sortir mes affaires quand un vieil homme se tient devant moi. Il prend ma commande et part aussitôt la préparer. Il revient quelques instants plus tard avec une tasse fumante. Je le remercie et me sourit en retour. Puis son regard s'échoue sur la scène pour dériver ensuite sur les quelques spectateurs assis devant la scène. Silencieux. Je peux lire de la tristesse dans ses yeux. Ce bar a dû connaître des jours meilleurs. Le vieil homme regarde sa montre et déclare d'une voix étrangement douce que le prochain musicien ne devrait pas tarder à arriver. Puis il repart rapidement derrière son comptoir, reprenant son activité délaissée.

Je porte la tasse à mes lèvres et souffle légèrement pour refroidir le liquide chaud avant d'en boire une gorgée. Ce chocolat chaud est tout simplement un délice. J'en remercierai le vieil homme tout à l'heure, avant de partir. Attendant le musicien, je commence à esquisser quelques coups de crayon sur le papier. J'imagine ce bar accueillant de nombreux clients, dansant et buvant dans une bonne ambiance. J'imagine aussi des musiciens jouant ensemble un air entraînant. Je veux rendre cet endroit plein de vie. Concentré, je ne fais pas attention au musicien venu sur la scène. Mais c'est en entendant les premières notes du piano que je relève la tête, lâchant mon crayon par la même occasion. Je reste sans voix comme si les mots refusent de sortir de ma gorge. Les doigts du pianiste semblent effleurer les touches de l'instrument. Et la mélodie est magnifiquement jouée. Douce. Envoûtante. Mélancolique. Mais surtout magnifique. Il transmet ses émotions et ses sentiments, ce qui donne une beauté indescriptible à la mélodie. Je lève les yeux et croise son regard. Il doit être légèrement plus âgé que moi malgré la finesse des traits de son visage. Ses cheveux couleur ébène contrastent avec sa peau pâle. Et ses yeux sont d'un noir profond. Je n'arrive pas à détacher mon regard du sien. Au contraire, j'ai l'impression de m'y perdre.

Le temps semble s'être suspendu et pourtant il continue de jouer. Je sens mon cœur battre rapidement dans ma poitrine. Je ne sais pas pourquoi je me retrouve dans cet état. Peut-être parce que j'ai chaud. J'ai dû attraper froid avec l'arrivée de l'automne. Je ferme les yeux et les rouvre aussitôt. Un sourire étire désormais les lèvres du pianiste. Je lui souris en retour, mon esprit s'embrouillant petit à petit, puis il regarde de nouveau devant lui. Je me prends le visage entre les mains et constate effectivement que j'ai de la fièvre. Heureusement, les dernières notes se font entendre et je range mes affaires rapidement. Quand le silence est enfin revenu, je me lève et me rends au comptoir pour payer ma consommation. Le vieil homme me dit que les musiciens viennent jouer tous les vendredis soir. Je le remercie et prends congé en dernier, les rares clients étant déjà partis depuis longtemps. Je me dirige donc vers la porte, pose la main sur la poignée mais hésite. Je jette un coup d'œil à la petite salle et constate que le pianiste se tient debout sur la scène, le regard posé sur moi. Je le fixe quelques secondes, lui souris puis ouvre la porte et sors du bar. Je reprends le chemin de mon appartement, le visage du pianiste ne quittant plus mon esprit.

You never walk aloneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant