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Servir

Doooonc voici l'histoire pour le concours de Wolfixon . J'espère qu'elle correspond ( et qu'elle gagnera, accessoirement, mais bon, ça, c'est la même chose pour tout le monde ).

Les embruns salés de la mer emplirent les narines d'Obero Kaa.
Malgré les décennies que le colosse avait passées sur terre, le sentiment de roulement que procuraient les vagues sous la luxueuse L'Impératrice lui semblait aussi familier que l'avait été, dans une autre vie, les tangages d'une coquille de noix de pêcheur.
Obero Kaa aimait la mer, l'eau se fracassant sur l'horizon dans une collision de bleus, le sel, les créatures marines frôlant la coque du flanc. L'immensité du panorama rappelait à l'être humain qu'il n'était qu'une minuscule entité dans l'univers, crée par les dieux pour servir. Kaa plus que d'autres, peut-être. En effet, le mastodonte était un esclave, ramassé sur une île perdue au milieu du détroit d'Ephir avant d'avoir atteint l'âge adulte, et formé à Port-aux-Armes, le plus prestigieux vendeur de gardes du corps des douze royaumes, couronné d'une réputation aussi glorieuse que sanglante.
Élevé entouré du fracas des armes et du claquements des fouets, et surtout, éduqué à n'avoir qu'un seul proverbe, vivre pour servir, servir pour faire vivre et mourir en servant, Kaa avait été vendu pour une somme astronomique à la famille royale de Melope, et servait.
Respirant une dernière bouffée saumurée, il se retourna et marcha vers la cale, ses bottes claquant sur le pont en bois. Ouvrant la porte de chêne et la refermant derrière lui, il s'avança jusqu'à la cabine de sa petite princesse. Toquant à la porte, il entendit le fluet << entrez >> d'Astrid. Entrant dans la pièce, il baissa la tête afin de ne pas heurter de son crâne le seuil bas.
La cabine, quoique petite, restait plus grande qu'aucune autre cellule du bateau. Éclairée de plusieurs lanternes en verre coloré de couleurs gaies, elles éclaboussaient de nuances oranges, jaunes, vertes et roses le tapis de fourrure d'un blanc immaculé de cerf albinos. Installées devant les deux étroits lits super-posés, étaient assises la petite princesse et son amie d'enfance et première courtisane, la jeune comtesse Gwynesse, habillées de jolies robes de voyage.
Les deux fillettes lui adressèrent un sourire, auquel il répondit par un hochement de tête poli. Astrid se redressa, s'appuyant sur l'un des coussins garnissant le sol, et croisa les jambes. Petite et frêle, le visage d'une pâleur de lait, les cheveux d'un brun sombre et les immenses yeux marrons, le physique un tant sois peu banal de la princesse ne faisaient qu'aviver l'éclat de sa compagne, dont la chevelure d'un brun rougeoyant, les traits d'une finesse mélangeant courbes et angles et le regard d'un bleu céruléen semblait briller comme une torche dans l'ambiance tamisée de la cabine, et aurait attiré plus d'un regard.
Mais pas celui de Kaa. Servir, pas contempler. De toute façon, il n'aurait changé l'enfant pour nul joyau ou promesse. Et, quoiqu'il en soit, Astrid n'aurait jamais à avoir à user de quelconques futilités extérieures afin de conquérir le cœur de quiconque. Le voyage qu'ils entreprenaient à bord de L'Impératrice était motivé par la rencontre entre le prince héritier de Firne, Milos, et la troisième née de la famille royale de Melope, fiancés avant même d'être sortis des langes. Justement, voilà sa petite princesse qui pépiait avec un timide entrain :

- Obero Kaa, quand penses-tu que nous atteindrons à nouveau la terre ferme ?

- L'arrivée se déroulera, normalement, dans un peu moins de trois jours, Princesse.

- Trois jours... Se plaint Gwynesse, s'étirant. Cela fait déja une quinzaine que nous sommes partis !

- Pourrions-nous sortir à l'air libre ? Demanda Astrid, levant un visage plein d'espoir vers celui, buriné, du colosse, sa joue pâle peinte du fuchsia d'une lanterne.

- Je crains qu'il ne vaille mieux attendre que le soleil s'affaiblisse. Ses rayons pourraient vous causer des douleurs, votre carnation n'étant pas faite pour leurs résister, se vit-il obligé de répondre.