Elysea

VII. Sur les pavés, l'aiguille ciselée

Sam resta immobile quelques longues secondes, avant d'enfin oser se mouvoir à nouveau. L'émotion était encore vive à la suite de cet effrayant évènement, et il eut toutes les peines du monde à calmer sa respiration et faire baisser son rythme cardiaque. Toutefois, son esprit était toujours en alerte, et il n'avait pas oublié l'objet qu'il avait entendu tomber au sol, abandonné par la mystérieuse silhouette. Il s'empressa alors de rejoindre le point de chute supposé. Il s'agenouilla, mais dans la pénombre et sans connaître la nature ou la taille de l'objet, la recherche n'était pas aussi aisée qu'il avait pu l'imaginer. C'est à force de tâtonnements hésitants, sur les pavés humides et mousseux des quais, que ses mains finirent par rencontrer ce qui pouvait s'apparenter à l'objet qui avait chu au sol quelques instants plus tôt. Ses mains saisirent alors ce qui était en fait un médaillon de forme ovale. Les yeux de Sam s'arrêtèrent un long moment devant la magnificence de l'objet. Sa partie centrale était un cadran en verre légèrement bombé, cintré par une fine armature en argent. Malgré la pénombre, le garçon arrivait à distinguer diverses petites illustrations, d'une minutie remarquable aux vues de la petite taille de l'objet, enfermées dans le cadran translucide. Il pouvait aussi distinguer une aiguille argentée, finement ciselée, au milieu du cadran qui pointait vers une des minuscules illustrations.

Alors qu'il était toujours en train d'examiner l'objet sous toutes ses coutures, un déchirement électrique survint non loin de là. Son sang ne fit qu'un tour, et l'angoisse qu'il avait réussi à balayer quelques instants plus tôt ressurgit de plus belle. Il pivota alors instantanément dans la direction du point de chute de la téléportation afin de distinguer à quoi il allait être confronté. Ses yeux, désormais totalement accoutumés à la pénombre des quais parisiens, distinguèrent rapidement une immense silhouette aux courbes féminines qui ne pouvaient appartenir qu'à Naelle. Il s'empressa alors de cacher l'objet dans une de ses poches. Ne sachant quoi penser des mises en garde de l'énigmatique individu, il préférait, pour le moment, garder cela secret.

Tandis que l'immense femme s'approchait de lui, Sam prit à nouveau conscience des sifflements stridents de la bataille qui faisait toujours rage sur le pont. Il se rendit alors compte à quel point ce moment avec le mystérieux inconnu lui avait fait perdre pied avec la réalité.

Naelle, qui était quasiment arrivée au niveau du jeune homme, fit un geste de bras ample. Cela eut pour effet instantané de faire s'évanouir dans l'air le voile transparent déposé sur Sam quelques minutes auparavant. Il l'avait déjà compris, mais cet artifice l'avait rendu indécelable. S'il n'avait pas voulu garder ce moment secret, il aurait chaleureusement remercié Naelle de lui avoir offert cette protection. En effet, il ne préférait pas imaginer comment aurait pu se passer l'entrevue avec la silhouette au ricanement diabolique s'il n'avait pas bénéficié de ce camouflage absolu.

" Dieu soit loué, il ne t'ait rien arrivé, dit Naelle dans un souffle de soulagement, tout en inspectant Sam du regard."

Elle s'arrêta un instant pour jeter un regard en direction de l'édifice en pierre qui surplombait la Seine, puis elle reprit aussitôt :

"On y va..."

Elle avait à peine pris le temps de finir sa phrase qu'elle avait saisi la main de Sam, et tous deux s'étaient volatilisés, laissant les quais nus face à leur fleuve.

Sam et Naelle se rematerialisèrent ailleurs, dans le fracas habituel du changement d'espace. Sam, qui faisait pour la seconde fois cette expérience consciemment, fut moins affecté par les désagréments liés à la téléportation que la première fois. Toutefois, son arrivée n'en fut pas plus agréable. Plusieurs sources de lumière orangée l'avaient ébloui au point qu'il resta aveugle de longues secondes, sa vision n'ayant pas appréciée le brutal changement de luminosité. Alors qu'il était toujours dans un flou visuel notable, il entendait plusieurs personnes s'affairer autour de lui, leurs pas faisant craquer les lattes de parquet présent sous leurs pieds. Alors que ses yeux commençaient à s'accoutumer progressivement à l'ambiance lumineuse, il remarquait l'odeur légèrement boisée des lieux mêlée à un délicat parfum de citron qui embaumaient agréablement ses narines.

Quand il recouvra totalement la vue, il découvrit qu'ils avaient tous deux atterri dans une pièce aux mobiliers et à la décoration datés, où plusieurs personnes faisaient des va-et-vient incessants. Seul un homme semblait avoir remarqué leur présence, et discutait déjà avec Naelle, qui elle, sans doute, n'avait pas été aveuglée.

Sam, qui jusqu'alors n'avait pas fait attention à leur conversation, saisit quelques mots de Naelle.

"Robert, j'ai senti sa présence..."