Une ou Deux Douleurs Passées

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Mes iris sont fixés dans les siens, je réfléchis. Je connais à peine Jim, je n'ai aucune envie de répondre à sa requête, mais je veux vraiment réussir ce premier devoir et son aide m'est plus qu'utile. J'inspire profondément et expire longuement par le nez, avant d'entrouvrir mes lèvres roses.

— D'accord, mais tu dois me promettre de ne plus jamais en reparler.

— Je pourrais l'écrire ? me taquine-t-il.

Je lui réponds d'un regard blasé teinté de vert.

[TW- Évocation agression physique/viol et suicide]

— Lorsque j'avais quinze ans, j'ai vu une fille se faire agresser dans la rue. Elle était à quelques mètres de moi, il était tard et j'ai flippé. J'ai tellement eu peur, que je suis partie en courant sans me retourner. Lorsque j'ai réussi à me calmer et que j'étais plus qu'à quelques mètres de chez-moi, j'ai téléphoné à la police, énuméré-je.

Je tripote mes doigts nerveusement.

— Je leur ai donné un emplacement vague, étant donné que je me rappelais plus la rue exacte où ça s'était passé et ils m'ont dit qu'ils me recontacteraient pour faire une déposition. Les autorités m'ont rappelé le lendemain. La fille avait été violée et retrouvée dans un sale état. Ils m'ont demandé de venir au commissariat pour des identifications, mais j'arrivais pas à regarder les types dans les yeux, lâché-je, dépitée.

Le rouge me monte aux joues.

— Je n'ai pas pu en reconnaître un seul. Il n'y a pas eu de procès et étant donné que j'étais le seul témoin, l'enquête a vite été close. 

Je souffle avant de prononcer la prochaine phrase :

— Eva s'est suicidée il y a deux mois. 

[Fin de TW]

Jim laisse une seconde de silence, comme par respect.

— Tu la connaissais bien ?

— On s'était pas mal croisées au commissariat et comme je me sentais coupable, j'ai essayé de me faire pardonner à plusieurs reprises, mais ça n'a rien changé. Voilà, ça te suffit ? Tu peux rester travailler maintenant? 

Le garçon continue de m'observer sans dire un mot, avant de s'approcher et de s'asseoir sur le bureau. Je recule mon siège pour garder une certaine distance entre nous.

— Comment tu peux rester aussi calme en racontant un truc pareil ? questionne Jim, les yeux globuleux.

Je fronce les sourcils, énervée par son jugement, encore un.

— Je sais pas qui t'es, mais ce qui est sûr, c'est que je gère ma vie et mes émotions comme je le souhaite.

— Pas si tu veux écrire.

— Je vois pas le rapport.

— C'est justement ça le problème. 

Mon regard est confus, je remue de la tête, essayant de comprendre.

— Si tu n'es pas sincère avec toi-même, tes livres seront superficiels. T'as besoin d'être authentique, vraie, pour écrire la vie de ces personnages qui ne sont rien d'autres que des êtres humains. 

Son front est crispé, ses mains s'agitent dans l'air. Je le fixe, un sourire de convenance sur le bas du visage.

— À ton tour, déclaré-je, en feignant sa remarque moralisante.

AstridOù les histoires vivent. Découvrez maintenant