Le Dernier Jour

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Les matinées s'enchaînent et vendredi approche à grand pas. Jim ne m'a pas reparlé depuis dimanche dernier et la nouvelle n'a pas plus avancée. On est jeudi, il ne me reste plus beaucoup d'options avant le cours avec Jones.

Je relis une dernière fois l'ensemble des textes que l'on a écrit chez moi, avant qu'une paire de chaussures grise métallisée ne passe sous mon nez et ne réveille mon cerveau endormi. Il a gardé les textes de samedi dernier, en particulier la fin que j'ai écrite, mais j'ai changé d'avis depuis.

— Jim, crié-je, alors qu'il est déjà à quelques pas de moi.

L'intéressé se stoppe et me fixe avec un drôle d'air.

— S'il te plaît, ne tue pas Astrid, bégayé-je.

— La fin est très bonne comme ça, dit-il, dur.

— J'en ai écrit une autre, si tu veux.

— Je ne veux pas de trucs niais dans ma nouvelle.

— Je te promets qu'elle ne l'est pas.

— Prouve-le. 

Sans attendre, je lui tends le papier froissé de ma poche, pour qu'il le lise.

« Je toquai à la porte, ça faisait si longtemps que je n'étais pas venue ici. Mon cœur battait au rythme des pas qui approchaient. Il était là, dans quelques secondes ce serait trop tard. Dans quelques secondes, je prendrai mon passé et mes erreurs en pleine figure.

Oui ? dit la voix, avant d'empoigner la poignée et de se retrouver devant moi.

Salut Danny.

A... Astrid ? Mais je croyais que t'avais disparu, on t'a cherchée partout.

Je sais.

Mais... qu'est-ce que tu veux ? se reprit-il.

— Je veux retrouver ma vie d'avant. Une vie où je me lève le matin dans mon lit, sous une couette qui m'aura tenue chaud toute la nuit.

Pourquoi tu ne retournes pas dans ta famille d'accueil ? dit-il, froid.

Depuis hier, je suis majeure. Ce n'est plus d'une famille dont j'ai besoin, c'est de quelqu'un.

Ça fait trois ans que tu as disparu sans laisser de nouvelles et tu crois que tu peux venir ici et sortir ce petit discours ?

S'il te plaît, ça n'a pas été facile.

Pour qui ? 

Ma bouche ne forma aucun mot. Mon cerveau n'ayant rien à dire.

— C'est bien ce que je pensais. Excuse-moi il faut que je cuisine, ma copine passe me voir ce soir, conclut-il, en me claquant la porte au nez.

Un vent froid transperça mon pull, mais ce ne fut pas lui qui me fit frissonner. Je mis quelques secondes avant de décrocher mon regard de la porte d'entrée. Mes pas lourds firent demi-tour. Le cauchemar ne s'arrêterait pas, jamais. J'avais fait une erreur, ne pas avoir été tuée dans cet accident et je la payerai le restant de mes jours.

La nuit tomba, mes habitudes prirent le dessus sur mes sentiments. Je piochai dans la poubelle pleine qui était de l'autre côté de la rue, avant de revenir sur mes pas, cherchant la stabilité d'un instant, la sécurité d'un moment, dans ce monde hostile à la jeunesse et à la liberté. »

— Alors c'est niais ?

— Pourquoi t'as écrit cette fin ? demande-t-il, sur un ton neutre.

Je fixe ses traits, toujours impassibles. Ce n'est pas dans son habitude d'être distant.

AstridOù les histoires vivent. Découvrez maintenant