III. 7 JUILLET.

2.8K 510 145
                                    

— Je m'ennuie.

Je suis fatigué.

— Alors qu'est-ce que tu fous là ? Il est deux heures du matin, mec.

J'ai volé des bières à un accompagnateur.

— Abstème, tu ne bois jamais.

Orviétan, tu adores la bière.

— Abstème, je t'aime.

Je sais, tiens.

— Je commence presque à te trouver cool, c'est dingue.

Incroyable.

— C'est affreux, je t'épargne mes sarcasmes et toi, tu...

Tu m'épargnes rien du tout, vipère.

— Je peux faire des efforts, chéri, promis !

C'est trop tard, je demande le divorce, et je veux pas du gosse.

— J'ai jamais voulu en avoir !

On peut aussi l'abandonner sous un pont le long d'une nationale sordide.

— Deal.

Deal.

— On se baigne ?

J'ai bien flippé, la dernière fois.

— Je vais pas te lâcher, abruti. À poil !

T'as l'air bête.

— J'ai la tête coincée dans mon t-shirt.

Sans blague. Attends, je vais t'aider.

— Non, je m'en fiche. À la flotte, soldat !

Orviétan, remonte sur ce fichu fauteuil, tu vas attraper la mort en sortant ! Orviétan ! Quel crétin irrécupérable.

— Ça me colle à la peau, je déteste ça.

T'avais qu'à pas plonger avec tes vêtements, t'as tout ce que tu mérites.

— T'as aucune pitié.

T'as aucune pitié.

— C'était une très mauvaise imitation de ma superbe personne.

T'as rigolé.

— J'ai bu la tasse, nuance.

Évidemment, suis-je bête. Attention, je plonge !

— Quel plat d'enfer.

Tu ne peux pas t'en empêcher, hein ?

— T'as pas assez poussé sur tes jambes, je te mets un quatre sur vingt.

T'es con.

— Jamais de la vie.

Si tu continues, j'appelle Jack. Tu rigoleras moins quand il te léchera la nuque.

— Oh ! T'as pas envie de faire un OUIJA ?

Si on omet le fait que tu sortes cette question de nulle part : non, merci.

— T'es pas marrant.

...

— ...

Où diable veux-tu trouver une table de OUIJA à la Colonie ?

— Je suis un pro lorsqu'il s'agit de dénicher des trucs improbables.

Si tu le dis.

— Donc, t'es d'accord ?

Non, mais je sais que tu finiras par te ramener ici avec ce jeu stupide, alors j'anticipe.

« Jack, si tu nous entends, fais nous un signe : frappe Abstème. »

« Oui, Jack, qu'est-ce que t'attends pour me briser les jambes ? »

— C'est beau, l'auto dérision.

Une qualité qui se perd, malheureusement.

— J'ai faim.

Je m'en fiche.

— J'ai faim, vraiment.

Je m'en fiche, vraiment.

— J'ai faim, Abstème.

T'es lourd. J'ai une barre chocolatée dans la poche de mon jean, sur le ponton.

— T'es le meilleur.

Tu souris et tu ne récites pas du Jules Verne, pourquoi ?

— Parce que j'accepte de sourire pour toi, pour l'instant.

...

— ...

À quel âge t'as perdu l'usage de tes jambes, Orviétan ?

— C'est pas le moment, Abstème.

C'est trop tôt ? Je pensais qu'évoquer ton handicap t'importait peu.

— Je suis un excellent comédien.

Ah, bon.

— ...

...

— Attends, est-ce que tu viens de mal interpréter mes paroles ? Je ne fais pas semblant, là.

Si tu le dis.

— T'es injuste, Abstème.

Ouais.

— ...

...

— Ambiance.

Désolé, c'était déplacé de ma part. L'eau est plus fraîche que la dernière fois, non ?

— C'était une transition pitoyable, mais je mets un dix sur vingt pour l'effort.

Tu passes sans arrêt du coq à l'âne, t'es nul en transition, toi aussi.

— Tu me connais mal.

T'es sûr ?

— Oui ?

Tu passes sans arrêt du coq à l'âne, tu roules tes cigarettes à gauche, tu détestes tes fossettes, la technologie, les rouflaquettes et mettre des taies à tes oreillers ; t'adores les fraises, les vieux films, l'archéologie, l'océan et les musées ; le sarcasme est ta marque de fabrique, tu méprises le monde entier et tu t'infliges une douleur inimaginable chaque jour en t'imposant cet air déchiré. Quand tu parles, Orviétan, je ne t'entends pas : je t'écoute, et je ne compte pas m'arrêter là – car c'est malheureusement tout ce que j'ai à t'offrir.

Abstème et OrviétanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant