VI. A Mon Ange

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"Coma : la mort comme si vous y étiez"
- Serge Mirjean

***

- Bonjour mon chéri !

Neuf heures pétantes, et je suis déjà là, à me faufiler dans l'obscurité de ta chambre. D'un geste, j'ouvre les rideaux.

Tu ne daignes pas bouger. Alors, je viens m'asseoir à tes côtés, sur ton matelas que je trouve trop dûr.

- Alors, mon coeur, bien dormi ?

Tu ne réponds pas. Comme d'habitude, tu fixes le plafond, impassible, dûr, froid, fermé. Je dessine du bout de l'index les traits figés de ton beau visage, en espérant que tu vas enfin me regarder, et me pardonner pour tout ce que je t'ai fait. Je dépose un baiser sur ton front plissé. Mais ton attitude immobile me repousse d'elle même, alors que tu n'as même pas fait un geste. Je répète ton nom en guise de prière, je joue avec tes doigts en guise de chapelet. Je prie, je supplie, je conjure.

Tu ne me parleras pas.
Tu ne me parleras pas, puisque tu es enfermé dans une prison où les seuls barreaux sont les limites de la conscience.
Tu ne me parleras pas, puisque tu as été placé in-extremis en coma artificiel.
Tu ne me parleras pas, puisque tu as tenté de mettre fin à tes jours.
Tu ne me parleras pas, puisque tout est ma faute.

A cette pensée, les larmes perlent au bout de mes cils, que je n'ai pas pris la peine de maquiller aujourd'hui. Détournant la tête, je les essuie d'un revers de main. Le docteur m'a dit qu'il te fallait des "ondes positives". Alors je ne vais tout-de-même pas me mettre à pleurer.

Je me rends seulement compte que l'une de mes mains est toujours encombrée par un bouquet de fleurs. Je me lève, et va jeter celles, fânées, qui gisent encore dans le vase en plastique sur ta table de chevet. Les nouvelles fleurs prennent la place des anciennes, et c'est tous les jours ainsi, comme un cycle sans fin. Mais toi, tu es suspendu quelque part, au dessus du monde, au dessus de tous ces cycles, que tu trouvais trop logiques.

Je me rassois sur ton matelas, et contemple sans un mot ton corps étendu. Tu as considérablement maigri. Tes traits se sont émaciées, et tes fossettes qui étaient auparavent délicates creusent aujourd'hui tes joues de deux sillons. Tes joues, assombries par la barbe légère qui commence à pousser. Tes joues, ternies et délavées. Tes yeux sont clos, et sa bouche entrouverte laisse échapper de maigres soupires.

Mais tu es beau. Même comme ça, tu es beau, mon ange. Le silence est seulement rompu par les "bips" de la machine qui semble t'engloutir tant elle est énorme à côté de ton corps si frêle.

A chaque bruit, mon coeur se serre d'angoisse.
A chaque bruit, mon coeur a peur que ce soit le dernier.
A chaque bruit, mon coeur s'arrête quand le tien bat.

Passant ma main dans tes cheveux en pagaille, j'approche mon visage du tien et murmure, juste assez bas pour que toi seul l'entende :

- Mon ange, je t'en supplie, dis-moi que tu reviendras me chatouiller du bout de tes ailes, comme tes lèvres le faisaient jadis.

Les larmes s'échappent de mes yeux, roulent le long de mes joues. Je ne peux les retenir, et, lasse de faire ce dernier effort, je m'effondre en sanglots, le corps secoué de spasmes, blottie contre ta poirine. Tes bras balants le long de ton corps ne me protègent plus. Tes doigts ne viennent plus jouer dans mes cheveux. Je te serre contre moi à m'en faire mal, mais la douleur physique n'est rien. Je veux te garder, je veux que tu restes avec moi encore un peu. Je veux te retenir. Je ne veux pas que tu me laisses.

Me calmant petit à petit, je m'assieds maintenant, ta main dans la mienne. Mais je sais que tu ne peux pas la sentir. Je réalise à quel point il est important d'avoir des amis, dans la vie. Mais c'est si difficile quand cet ami est figé, sans expression.

Enfin calmée, je me sépare de toi à grand peine, me dirige vers la fenêtre, et jette un regard à l'extérieur. Le soir tombe déjà. Je viens d'arriver, pourtant. Les étoiles brillent timidement, tentant vainement de transpercer la noirceur de la nuit.

Mais je ne parviens pas à regarder les étoiles, car elles me font me demander où tu es. Quelque part, perdu entre la vie et la mort, tout seul dans l'imensité sombre. Je te promets, mon chéri, que, quand tu te réveilleras, je te donnerai tout l'amour et l'attention que je n'ai pas pû t'offrir lorsque tu en avais besoin.

Les dix-huit heures sonnent au clocher. Je vais devoir te quitter, mon amour. Je dépose un dernier baiser sur ton front, puis recule vers la porte, sans pouvoir te lâcher les yeux. Ca me fait mal de te laisser ainsi, mon coeur. Si jamais tu te réveilles cette nuit, tu seras seul, sans moi.

Je suis désolée.

Sur les marches de l'hôpital, je rallume mon portable. 27 appels en absence.

Certainement de l'homme par qui j'essaye de te remplacer.
Certainement de l'homme qui se demande où je suis.
Certainement de l'homme qui aurais dû mourir à ta place.

Et peut-être même un du docteur, qui, sans savoir que je suis à l'hôpital, m'annonce que tu viens de t'éteindre.

***

Abruzzes, juillet 2016
14 ans.

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