II. Larmes

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"Les larmes qui coulent sont amères, mais plus amères encore sont celles qui ne coulent pas."

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Ses ongles labourent ses paumes meurtries. Son poing se serre, étau de rage et d'acier. Ses phalanges blafardes frémissent de fureur. Cage de chair étreignant le vide. Sa longue chevelure, tumultueux torrent sombre, dévale ses frêles épaules. Ses boucles d'ébènes emmêlées tressautent sur sa poitrine au rythme de ses soubresauts.Des fossés d'anxiété barrent son front soucieux. Le carmin de ses lèvres s'écoule en gouttes poisseuses sur son cou à la peau laiteuse. Ses dents assaillent sans relâche la pulpe écarlate à la saveur aigre-douce. Une houle furieuse déferle sur l'outremer de ses prunelles. Un sillon salé, larme de cet océan tempêtueux, creuse sa joue livide. Ses cils sombres et humides, ailes déchirées d'un ange déchu, tentent de capturer, de masquer cette honteuse faiblesse.

Et moi, qui suis là, bras balants, le visage figé en un masque éploré, face à ce corps dévasté, cette âme ravagée par la honte, la haine, le désespoir. Moi, impuissant, fasciné par cette forteresse infranchissable s'écroulant sous mes yeux effarés. Moi, trop faible pour esquisser un seul geste, pour émettre une seule parole, pour seulement même détourner le regard.

Elle hurle, ses dents mordent, sa gorge siffle, ses oreilles bourdonnent. Ses cheveux tourbillonnent tels une nuée de corbeaux obscurs et moqueurs au coeur de cette assourdissante symphonie. Le souffle court, haletant, chaotique, elle s'oublie. Les bras repliés, les jambes flageolantes, elle s'abandonne. Tremblante sur son corps trop svelte, elle pleure.

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Alsace, octobre 2016
14 ans.

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