VII. Fiction Harry Potter - Prologue

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L'eau sombre du lac ondulait sous la longue cape du Détraqueur. Le mouvement de l'étoffe noire était si semblable à celui des ondes que, dans l'ombre du château, il était presque impossible d'y discerner deux silhouettes distinctes. A vrai dire, pour le centaure, il ne s'agit d'abord que d'une sirène. Firenze restait stoïque, ses quatre pattes musclées encrées dans la terre, sa longue queue argentée flottant derrière lui, sa carrure sculpturale immobile entre les arbres de la Forêt Interdite.

L'air était humide et lourd. Une fine pluie chaude tombait sur le château de Poudlard, et heurtait la surface du lac dans un clapotis léger. Une goutte de sueur coula le long de son flanc opalin, non loin de la jonction entre sa tête humaine et son corps de cheval, là où des poils blancs recouvraient le teint hâlé de sa peau.

Quand la lune émergea, transpercée par la poivrière de la Tour d'Astronomie, les pans de la cape se précisèrent, et la sirène s'évanouit alors que se dessinait la silhouette famélique du Détraqueur. Firenze renâcla nerveusement, et se dissimula derrière un if. Entre les branches fines du feuillage, les étoiles constellaient le ciel. Un songe funeste frappa le centaure alors qu'il dirigeait vers les cieux son regard penseur. Mars est brillante, ce soir.

Un grondement sépulcral résonna au pied du château. Firenze chercha le Détraqueur des yeux et l'aperçut avec horreur. La créature rampait le long du mur de pierre à une vitesse affolante, glissant sur la paroi rocheuse. Elle serpentait entre les piliers du viaduc, s'engouffrait dans le pont couvert, plongeait le long de la Tour pour réapparaître, surplombant le Cromlech.

L'angoisse se saisit de Firenze, qui sentit son calme olympien l'abandonner à mesure que le Détraqueur rôdait autour de Poudlard, de plus en plus menaçant, de plus en plus sombre, de plus en plus proche. Il se défit de sa morbide contemplation, et s'enfonça dans la forêt au galop. La nuit surplombait la cime des arbres. Les sabots du centaure martelaient le sol battu. Le tambourrin de sa course s'interrompit lorsqu'il survola un fossé. Quelque part au coeur de la forêt, Graup émit un grondement caverneux.

Les centaures ne pouvaient - ne devaient - intervenir dans les affaires des humains. Leur rôle était pûrement contemplatif, chimères au calme déroutant, qui interprêtaient les astres mais n'en livraient la signification. De toute sa vie, cette condition avait été un supplice pour Firenze. A l'instar de ses semblables, il se couvrait d'une certaine fierté, d'une certaine arrogance à l'égard les humains. Pourtant il ne les méprisait pas. Il vouait même à certains spécimens un soupçon de curiosité. Ca avait été le cas pour Albus Dumbledore. Ca avait été le cas pour Tom Jedusor. Et ça avait été le cas pour Harry Potter.

Comme lorsque le Seigneur des Ténèbres avait fait son retour une dizaine d'années auparavent, et qu'il s'était mesuré une deuxième fois à Celui Qui A Survécu, Firenze pressentait, savait que le monde des sorciers était au bord de la guerre.

Après la chute de Voldemort, ses partisans furent capturés et conduits à Azkaban. Les Mangemorts qui faisaient partie de son cercle d'alliés les plus précieux mourrurent quelques mois plus tard. Les autres restèrent emprisonnés pour de longues années encore avant de succomber à la folie. Tous les peuples qui avaient d'une quelconque manière servi la cause de l'armée du mage noir furent placés sous le contrôle du Ministère de la Magie. Les Acromantula, les Trolls, les Loups-Garous et les Détraqueurs. Ainsi, la vision de l'un d'entre eux rôdant aux alentours de Poudlard emplissait le centaure de terreur et de perplexité.

Quant aux Rafleurs, ils furent sans doute le peuple qui connut le destin le plus tragique. On lança des battues dans toutes les forêts d'Europe pour décimer l'espèce. Cette manoeuvre meurtrière fut maintenue secrète par le Département des Mystères. Mais l'affaire éclata au grand jour lorsqu'un Moldu découvrit, sous les décombres d'un camp de Rafleurs, le cadavre de l'un d'entre eux. Devant ce scandale qui secoua le monde des sorciers, le Ministre de la Magie de l'époque, Kingsley Schacklebolt, fut destitué et emprisonné à Nurmengard, là où fut jadis prisonnier Gellert Grindelwald.

La flèche, Firenze ne la vit pas tout-de-suite. Il la devina seulement, lorsqu'une douleur lancinante foudroya son flanc et qu'une coulée pourpre dévala son pelage. Le centaure, harrassé, mit fin à sa course éperdue au milieu d'une clairière. Il plia l'encolure pour atteindre la flèche avec ses dents. Hors de portée. Un hennissement de souffrance retentit dans la clairière. Il releva la tête. Son poitrail explosa.

Le souffle court, il bascula sur le flanc et donna une vaine ruade. Il inclina sa nuque douloureuse, pour constater sur son thorax trempé de sueur deux profondes empreintes circulaires, comme marquées au fer blanc. Devant lui, piétinant nerveusement, se tenait un Sombral.

Les Sombrals étaient des créatures méconnues, craintes à tort pour leur association à l'au-delà. Cependant, ils étaient inoffensifs, et encore davantage envers les centaures. Ils n'auraient jamais osé s'attaquer à l'un des meneurs du troupeau. Firenze geint de douleur, roula sur le côté et tenta de se relever. Le Sombral le scruta d'un regard critique, mais pas une fois ne l'attaqua.

Flageolant sur ses pattes endolories, Firenze embrassait la clairière du regard. La forêt s'était tue. Les yeux rivés vers la lisière, le centaure luttait contre les vertiges que lui causait son flanc à vif. La veine de sa tempe palpitait sous ses sauvages boucles brunes.

La flèche bruissa avant de perforer la trachée du centaure. Un linceul noir s'abattut sur les prunelles de Firenze. Il s'écroula.

Inerte, il crut discerner entre ses cils des formes émerger de la lisière. Les arbres se réveillent. La divinité de la forêt vient me prendre. Dans son esprit fiévreux, les arbres devinrent des silhouettes. Un cercle de silhouettes. Qui grognaient. Qui s'approchaient. D'autres centaures ? Firenze ne savait pas, ne savait plus. Un dernier souffle s'échappa de ses lèvres bleuâtres. Autour de lui, les fantômes entamèrent une danse funeste. Des cris s'élevèrent dans la Forêt Interdite, d'abord inintelligibles. Puis le monde des sorciers tout entier sembla frémir.
- Pour Greyback ! Gloire à Greyback, souverain de la révolte !

***

Alsace, septembre 2017
15 ans.

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