Une de ces nuits

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C'était une de ces nuits, dans un bar branché de la capitale.

C'était une de ces nuits où tu étais là, prête à hypnotiser ton public avec ta voix envoûtante.

C'était une de ces nuits où il était là, ce jeune drogué qui squattait tous les soirs ce bar et qui t'écoutait chanter.

Il faisait comme de rien, comme si il n'était intéressé que par les bouteilles d'alcool fièrement exposées derrière le comptoir mais en réalité il ne cessait de compter les minutes avant ta prestation.

C'était une de ces nuits où tu étais triste, encore à cause de ton copain qui allait voir partout avec tout le monde sauf avec toi.

C'était une de ces nuits où tes sanglots étouffés remplaçaient ta voix d'ange, gâchant à l'avance le spectacle de ce drogué qui venait t'écouter chaque soir.

Car oui, tu l'avais vu, ce jeune paumé à l'âme déjà morte alors qu'il avait encore toute sa vie devant lui, le seul qui était là chaque soir pour te voir, à graviter autour de toi tel un astre avide de lumière et de vie autour d'une étoile brûlante.

C'était une de ces nuits où il y avait du monde, dans ce bar où il aimait tant se terrer.

C'était une de ces nuits où l'air était étouffant, les voix des clients se mélangeant en un désagréable bourdonnement qui lui vrillait les oreilles.

C'était une de ces nuits où il t'attendait avec impatience, pour faire taire quelques instants ces pensées sombres de son esprit tourmenté.

Il t'attendait, les yeux passant de la scène que tu occuperais bientôt à son téléphone qui affichait dans une douce lumière l'heure tardive, un décompte précipité résonnant dans sa tête.

C'était une de ces nuits où tu séchais tes larmes amères, échauffais ta voix enrouée par les pleurs.

C'était une de ses nuits où tu agrippais ta guitare et ton courage à pleine main, un jeune piqué dans la tête.

C'était une de ces nuits où tu chantais pour lui, et juste pour lui, parce qu'il était ton unique public le temps d'une chanson.

Tu te posais là, sur la scène éclairée, entourée de tous cette foule bruyante et agitée, les yeux rougis par la peine posés sur ton seul spectateur.

C'était une de ces nuits où il t'entendait chanter avec ton âme, ta voix faible mais captivante arrêtant le temps un court instant.

C'était une de ces nuits où ses yeux cernés plongeaient dans tes yeux rouges de chanteuse pour un échange aussi silencieux que puissant.

C'était une de ces nuits où il se sentait de nouveau en vie, plongé dans le rêve illusoire que lui soufflait ta voix angélique.

Il n'applaudissait pas à la fin du spectacle mais son regard envoyait les plus sincères remerciements à la détentrice de cette si jolie voix.

C'était une de ces nuits où tu quittais la scène, les yeux braqués sur le triste drogué, les applaudissements de l'audience disparaissant devant l'intensité de leur échange.

C'était une de ces nuits où il disparaissait dans la foule, comme happé par leurs gestes précipités, se détachant avec une douloureuse facilité de ta vue.

C'était une de ces nuits où tu retrouvais le sourire, une fois à l'abri des regards, l'âme apaisée à l'idée de revoir le jeune homme perdu dans ce monde sans sens.

Et lorsque tu reviendras une autre nuit, il sera là, prêt à s'enivrer sans honte de ces quelques instants fugaces de bonheur.

Et lorsqu'il sera là une autre nuit, tu chanteras de ta voix envoûtante, prête à apaiser sans résistance ton coeur brisé, vidé de bonheur.

Dans Ma TêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant