Passions aristocratiques

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        La nuit avait étouffé la lumière du soleil depuis déjà plusieurs heures. L'astre blanchâtre qu'était la lune diffusait ses rayons brumeux dans les rues de Paris. Ses grandes allées étaient vides, soufflées par le vent et le froid. De temps en temps, des parisiens enivrés par l'alcool pointaient le bout de leur nez à la recherche d'un peu de fraîcheur et, parfois, de riches couples filaient discrètement dans le silence du soir, impatients de rentrer au chaud. 

     Si il planait sur la Grand'Ville un silence glacial, dans un riche palais caché aux yeux des promeneurs tardifs, une fête battait son plein. La haute noblesse tout entière était réunie dans cette demeure de style haussmannien et tous festoyait à coup de grands éclats de rire et de liqueur raffinée. Là, les éventails censés cacher les jolis minois étaient repliés et les hauts-de-forme ôtés. Les jeunes nobles s'étaient dévêtus de leurs règles aristocratiques le temps d'une soirée et profitaient de ce clos palais pour tenter tous les interdits. Ici et là, des hommes mariés faisaient des avances à de jeunes filles de Duc, et certains finissaient même par monter dans les chambres avec leurs conquêtes.

     Au milieu de ces batifolages passionnés et des robes flottantes richement décorées, un homme s'impatientait. Début trentaine, il était d'une froide beauté. Le teint pâle, signe d'un travail en intérieur, il était grand de taille et bien bâti. Ses cheveux bruns coupés courts, qualifiés d'inacceptables pour sa classe sociale, tombaient sur son front en pagaille. Ses joues fraîchement rasées dévoilaient une mâchoire bien définie, qui était contractée par le déplaisir. Il arrivait que ses fines lèvres légèrement rosées se tordent en un sourire furtif, goguenard, lorsqu'il percevait des demoiselles de la cour le regarder avec envie. Son plus bel atout restait néanmoins ses yeux en amande, aux pupilles d'un gris translucide, qu'il avait hérité de sa mère. Celles-ci, autrefois d'un bleu doux, avait doucement tourné vers cette couleur qui rappelait l'écume d'eaux agitées. Mais la majesté de ses traits était fâcheusement enlaidie par son air hautain et désagréable. Car oui, le Duc Eugène de Breteuil n'était pas un personnage commode. Quiconque avait tenté depuis le début de la soirée de tenir compagnie à ce noble qui avait organisé cette réception s'était fait rabrouer avec un désintérêt humiliant. Seulement, le bel homme avait une excuse. Et son excuse se faisait attendre, l'irritant toujours plus à mesure que le temps s'écoulait. 

      Alors que le noble ignorait de nouveau un groupuscule de jeunes filles à marier, elle fit une entrée fracassante. Un majordome l'annonça mais ce ne fut pas nécessaire : toutes les distractions s'étaient stoppées pour l'accueillir. 

« La Marquise de Conflans ! »

     La Marquise, nommée Désirée à la naissance, portait bien son nom. Tout en elle n'inspirait qu'envie et passion. Son visage fin et doux était encadrée une chevelure blonde torsadée avec précision qui frôlait ses épaules nues. Ses lèvres charnues souriaient à la Haute et appelaient aux baisers tandis que ses yeux noisettes malicieux attrapaient les regard de tous les hommes. Elle portait ce soir une robe ravissante, d'un rouge éclatant. Le riche tissu captait la chaude lumière des lustres et faisait étinceler la noble. Sa poitrine généreuse était fermement remontée par un corset qui soulignait sa mince taille et de nombreux jupons d'une qualité remarquable soutenaient ses jupes. Enfin, une traîne en soie finissait sa course sur le marbre blanc au sol. La Marquise était une magnifique rose rouge en éclosion. Et cela n'échappait pas au Duc, loin de là. A  peine avait-elle posé le pied dans le palais qu'il s'était redressé, aux aguets. Ses yeux s'étaient assombris devant la belle mais son visage s'était aussitôt fermé en apercevant, à sa main gauche, une bague que peu pouvaient se vanter de voir un jour. Une bague de mariage. Car la Marquise était, depuis plusieurs années déjà, l'épouse d'un vieux Marquis qui perdait la tête. Désirée était fille de Monsieur, l'un des plus bas titres de la noblesse, et avait donc pour destin une vie de petite richesse. Mais, la beauté grandissante de la jeune fille lui avait permis d'épouser un très bon parti. Elle était à présent l'une des femmes les plus enviées du royaume.

     Désirée s'avança tout naturellement dans la salle bondée, sans se départir de son sourire, et ce fut avec beaucoup moins de naturel que des comtesses, des baronnes et des marquises l'entourèrent pour la complimenter et s'attirer son bon vouloir. Les festivités reprirent doucement leur cours, même si son nom trônait sur toutes les lèvres. La Marquise passa d'un groupe à un autre, conversant avec qui l'entendait, riant aux éclats, jouant avec des barons charmés. Et tout ça sous le regard rageur d'Eugène, qui fulminait avec pour seule compagnie un cousin lointain assommé par les plaisirs de la boisson. 

     Puis vint le temps des danses, sous la mélodie calme mais entraînante des violons. La Marquise fut invitée de nombreuses fois et elle n'en refusa aucune. Durant l'une d'elles, ses yeux emplis de joie croisèrent ceux d'Eugène et son sourire devint aussi malicieux qu'il était possible. Cela acheva de détruire le contrôle déjà fragile de l'homme. Il se leva brusquement, traversa la salle sans quitter la jolie fleur rouge et la vola à son partenaire, non sans jeter un regard sombre à ce malheureux. Ce geste fut le signal et plus personne n'approcha Désirée. La jeune noble avait beau être marié à un Marquis aussi vieux que le monde, toute la cour savait que le seul homme de sa vie était ce mal aimable personnage.

« Duc de Breteuil, le salua-t-elle alors qu'ils entamaient un tour gracieux.

 - Cessez de jouer avec moi Marquise, siffla Eugène en rapprochant leur deux corps avec une hargne palpable. »

    Désirée fit mine de ne pas comprendre et cela finit d'agacer le bel homme. Son bras enserra la taille de guêpe de la femme et son visage crispé se baissa à son oreille pour lui susurrer quelques mots.

« Tu es à moi Désirée, mari ou pas, je suis le seul à pouvoir te voir sans tous ces artifices, tel que tu es réellement. Et j'ai bien cerné tes amusements puériles avec ces hommes.

- J'ai cru que tu n'allais pas réagir, lui souffla une Marquise satisfaite de son manège indigne d'une Dame. »

     Ses mains délicates frôlèrent la gorge de son proche compagnon de danse puis, le visage enjôleur, elle quitta l'étreinte possessive du Duc.

« Tout ceci m'ennuie, minauda-t-elle, ne pouvons-nous pas nous retirer dans votre suite monsieur le Duc ? »

     Les yeux d'Eugène se firent brûlants soudain et la Marquise n'eut pas besoin de se répéter. Le Duc de Breteuil souhaita une bonne soirée à ces riches invités avant de se retirer dans ses appartements, Désirée de Conflans à son bras. Chacun savait mais cet évènement passa sous silence. Quiconque oserait converser avec le vieux mari au sujet de la relation des deux amants se ferait répudier de la noblesse. Les règles de ces réunions étaient claires.

   Ce qui a lieu dans le palais, reste dans le palais.

Dans Ma TêteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant