Dans le petit bosquet où s'était plus tôt déroulé un duel très particulier, gisait encore un corps séparé de sa tête. Les deux parties n'étaient plus qu'ombre, plus que des silhouettes indistinctes dans la pénombre de la forêt. Dénué de vie, le corps du norgul s'était affaissé, avait durci et ne ressemblait plus qu'à un de ces rochers longeant les falaises de l'ouest.
Une troisième silhouette canine sortit des broussailles. Elle vint lentement s'asseoir près de la tête récemment tranchée. Silencieux, le norgul plongea ses huit yeux humides vers le défunt. A cet instant, l'obscurité même de la nuit paraissait briller face aux sombres pensées du canidé. Les babines retroussées, les griffes plantées dans la terre fraîchement foulée, il poussa un lugubre hurlement à la lune, puis fit silence.
La forêt se tut à son tour pour laisser place au deuil et la lune, elle même attristée, se fit plus terne. La nature était spectatrice de ce recueil funeste. Elle vit l'endeuillé pousser un ultime cri avant de s'en aller, galopant vers le village.
Sortit de la forêt un jeune homme bronzé aux courts cheveux bleutés, vêtu d'une simple tunique de lin délavé. Son long nez était plissé et ses yeux encore mouillés. Il venait de pleurer. L'homme entra dans le village, par la rue principale dont les douces lumières nocturnes venaient de s'éteindre.
Ses pas suivirent son regard déterminé qui se portait, glacé, vers une bâtisse à l'écart de l'agitation teyenne. Il arriva près d'une modeste maison boisée, quelque peu délabrée et entra sans toquer. Son agitation résonna dans ce qui s'apparentait à un salon. Il était empli de nombreux coussins bariolés qui jonchaient le plancher, entourant une large cheminée centrale en pierre dont le feu était éteint. Émanait de ses effluves passées un doux air chaud, qui eut pour effet de détendre quelque peu les muscles endoloris du jeune homme.
Quelques instants plus tard, le propriétaire de la bâtisse s'avança dans le salon, prenant place dans un des plus gros édredons de la pièce. L'homme devant lui était petit et avait des cheveux coupés à ras et rasés à intervalles réguliers, d'un intense violet. Ses yeux d'une extrême sagesse parcouraient le jeune homme avec tendresse.
- Que tu es beau, Kiheï ! s'exclama-t-il.
Sa voix était rauque, teintée par les années et contrastait avec son apparence de trentenaire. Cet étrange mélange d'âges fit signe à Kiheï de s'asseoir. Il s'exécuta.
- Qu'est ce qui t'amène voir ton pauvre père ? Ce n'est pas souvent que tu viens me rendre visite, minauda-t-il gentiment.
- Mère est morte. Tuée.
Le ton d'outre tombe du jeune homme posa un froid sépulcral dans le salon, laissant son père sans voix.
- J'ai retrouvé sa tête détachée de son corps dans la forêt, reprit-il.
Après un court silence muré de tristesse, le père réussit enfin à parler, résigné.
- Si telle était la volonté des dieux, qu'il en soit ainsi. Leurs décisions sont sages et réfléchies, elles ne peuvent être remises en cause.
- Mais père, ceci n'était pas l'oeuvre d'un Dieu ! s'étrangla-t-il. Jamais ils ne tueraient de la sorte.
- Et comment penses-tu qu'ils tuent ? interrogea l'homme avec douceur.
Les traits de Kiheï se détendirent un instant. Il réfléchissait. Après courte réflexion, son expression se durcit à nouveau.
- ... Je te dis que cela n'était l'oeuvre d'un Dieu.
- Mais de le croire t'aiderait à l'accepter, n'est-ce pas ?
Son père avait toujours des paroles éprises de recul et de bon sens, qui apaisaient les maux, tant psychologiques que physiques, du jeune homme.
Mais, à ce jour, aucun mot, aucun geste n'aurait pu soulager l'irrépressible haine qui s'était emparée du cœur de Kiheï.
- Oui, si cela était vrai. Ca ne l'est pas.
Des perles d'Erèbe se mirent à couler sur ses joues empourprées. L'homme se leva et enlaça longuement son fils. Entre leurs bras, les émotions des deux hommes se mêlaient dans un mouvement de vas-et-viens bercé par les tristes tics-tacs de la pendule.
- Tu en es sûr ? s'assura l'homme, inquiet.
Le visage de Kiheï était enfoui au creux de l'épaule de son père, comme pour cacher le mélange chaotique de haine et de peine qui faisait chavirer l'embarcation chancelante qu'était devenue son âme.
Soudain maître de ses émotions, le jeune se redressa d'un bon résolu et s'avança vers la sortie.
- Oui. Je trouverai son assassin, il faut qu'il paie. Je le suivrai à l'odeur, je le traquerai jours et nuits, je traverserai des rivières infestées de démons, j'escaladerai les chaudes parois d'Asmund s'il le faut, mais je jure, tonna-t-il d'une haine qui lui était jusqu'à lors inconnue, je la vengerai.
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Affrontement Divin
FantasyLorsque deux mythologies se rencontrent. Un Affrontement aux dimensions divines que nul ne pourra empêcher est sur le point d'exploser et la colère des Dieux s'abattra sur Terre.