Chapitre 2

513 96 222
                                    

— Deulion, j'écoute.

— Justin à l'appareil. Bonjour Eric.

— Commissaire. Quel bon vent vous amène ?

— Berthier m'a appris la nouvelle. Popopop. Cette histoire de meurtre, ça l'a mise dans tous ses états. Pfiou ! On peut dire que c'est pas banal. Et puis avec le festival...

— Oui.

— Je ne voulais pas vous importuner. Vous avez toutes les qualités pour mener à bien cette enquête, j'en suis convaincu. Alors, aucune pression, prenez le temps qu'il faudra pour résoudre cette affaire, je ne veux pas de surmenage. Personne au travail en dehors des horaires convenus, hein ? Et n'hésitez pas à appeler si vous avez besoin de quoi que ce soit.

— Ok, patron. Je n'y manquerai pas.

Décidément, Justin est rentré transfiguré de son stage de prévention du stress au travail.

— Ah, Eric, j'oubliais. C'est bien vous qui prenez en charge la stagiaire de l'Agence Médico Agricolo Légale ?

— Une stagiaire ? Quelle stagiaire ?

— Ben, Rosette Lescure de l'AMAL de Guéret. C'est prévu depuis mars, Boutifarro s'est bien occupé de lui trouver un logement, n'est-ce pas ?

Rosette. Avec un prénom pareil, impossible d'oublier une telle information si elle lui avait été transmise. Mais connaissant Claude, le lieutenant se dit qu'il ne lui reste que quelques heures pour dégoter une chambre pour la dame.

— Hum. Oui, oui, bien entendu.

— Encore désolé pour le dérangement. Portez-vous bien.

En raccrochant, Eric jette un regard assassin à son adjoint, assoupi à l'ombre d'un platane centenaire. A sa grande surprise, la larve se réveille instantanément et Deulion se promet de retenter l'expérience des yeux de tueur, histoire de voir si c'est vraiment efficace pour sortir ce type de ses siestes chroniques. L'occasion ne devrait pas manquer.

En trois enjambés pressées, souvenir kinésique de ses années étudiantes à Paris, il rejoint le banc où Bouti s'étire mollement.

— Rosette Lescure, ça te parle ?

— Vaguement, pourquoi ? Stage de découverte-immersion chez nous sur juillet, non ? Elle est déjà arrivée ?

— Comment je le saurais ? J'ignorais son existence jusqu'à l'appel du commissaire.

— Ah oui... On devait lui trouver une piaule à la môme. J'espère que Berthier s'en est occupée.

Eric soupire mentalement. Rien à tirer de cette feignasse.

Deux coups de téléphone bien ciblés, le premier à Aline et le second à l'agent de la gare de Marvejols, lui confirment ce qu'il pressentait. D'une, personne ne s'est chargé de préparer l'arrivée de la stagiaire et de deux, aucune femme n'attend sur le quai mais le prochain et dernier train arrive dans vingt minutes.

Entre l'enquête en cours et les embouteillages, Bouti et Deulion sont encore les plus proches pour aller chercher la fille. Enfin, c'est compter sans la disparition soudaine de l'adjoint. Pas le temps de se lancer à sa recherche s'il veut arriver avant le TER.

Le Berlingo s'engouffre dans la circulation inhabituellement dense. Eric ne résiste pas à l'envie de mettre le gyrophare pour se frayer un chemin entre les voitures : cette opportunité ne se représentera sans doute pas de sitôt dans ce patelin.

Bon dernier au stage de conduite en situation d'urgence, il confirme son classement en se retrouvant lamentablement coincé entre un camion poubelle et un camping-car. Une grand-mère promenant son bâtard le double à intervalles réguliers entre deux pauses pipi du chien. Penaud, le lieutenant finit par éteindre la sirène et arrive devant la station une demi-heure après le train.

Seize heures trente-quatre. Devant les grilles fermées, une blonde peroxydée se roule une cigarette, le cul posé sur un bac à fleur.

Eric sort de la voiture, bien décidé à afficher son leadership naturel.

— Rosette Lescure ? Lieutenant Deulion. Mais vous pouvez m'appeler Eric.

— Et moi Rosie, répond-elle distraitement à sa poignée de main énergique.

— Désolé du retard, on est en pleine investigation sur un homicide.

Intérieurement, il jubile : six mois qu'il attend une véritable affaire et voilà qu'en plus il a face à lui une incroyable paire d'yeux bleus pour assister à son triomphe. Il est juste un peu déçu qu'elle ne manifeste pas plus d'intérêt à l'annonce de l'enquête en cours, comme si l'élucidation d'un meurtre dans cette ville de Lozère était un événement ordinaire.

Tête baissée, Rosie allume calmement sa cigarette avant de relancer avec malice :

— Pas de problème. Après un voyage de sept heures pour faire trois cents bornes, je ne suis plus à compter vos trente-quatre minutes de retard.

— Vous auriez mis moins de temps en voiture, objecte-t-il.

— Ben voyez-vous, j'ai pas de voiture.

D'un air narquois, Rosie plisse les yeux et expire la fumée qui vient se loger directement dans le nez de Deulion, qui préfère mettre cette désinvolture sur le compte de la fatigue du périple.

— Bon, on y va, chef ?

— Vous ne voulez pas finir votre cigarette ?

— Si, si. Cela ne vous dérange pas que je fume en voiture ?

Sans attendre la réponse, elle s'installe dans le véhicule, le filtre en carton coincé entre ses lèvres charnues. Cette fille commence déjà à l'agacer.

— Vous voulez vous changer avant de passer au poste ?

— Quoi ? Ma tenue ne convient pas ? s'offusque faussement la blonde.

Rosie passe sa main sur son chemisier blanc sans manche, ouvert jusqu'à la naissance de ses seins et frotte le revers de son short en jean taille haute, époussetant des miettes imaginaires. Eric n'insiste pas. Après tout, aucun uniforme n'est exigé par l'AMAL et juger la bienséance vestimentaire de ses stagiaires n'entre pas encore dans ses prérogatives. Cette fille est sexy, provocante de la tête aux pieds, soit. Au pire, ça réveillera peut-être Bouti, qui sait ?

— Non, pas de souci, abdique-t-il en démarrant.

Le festival commence dans une heure et le centre-ville est désormais totalement impraticable.

Rosie souffle la dernière bouffée de sa cigarette dans l'habitacle et éteint son mégot sous le talon de sa tennis blanche, avant de le ranger dans une boîte en métal.

— Vous pouviez le jeter par la fenêtre, indique Deulion manquant d'étouffer.

— Ce ne serait pas très respectueux du travail des employés municipaux, sourit-elle.

Par contre cracher son goudron et sa nicotine à la tronche d'Éric et se payer sa tête, cela ne la dérange pas. Cette petite effrontée le gonfle de plus en plus sérieusement.

Les Experts : Lozère [ Terminé ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant