Chapitre 1

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Il devait faire environ six heures du matin quand le bruit du balai de Yaye Rama, grattant le sol de la cour réveilla Boubacar. Cette bonne dame avait toujours été matinale, toujours la première à se lever et la dernière à se coucher. À son réveil, elle se dirigeait à pas feutrés vers l'unique robinet de la maisonnée, qui se trouvait dans la cour familiale. Et elle prenait le soin de marcher lentement pour ne pas réveiller Ablaye son époux. Ensuite elle faisait ses ablutions, en profitait pour s'introduire dans l'enclos et donner à manger aux quelques moutons dont ils disposaient alors comme seule richesse.

Puis elle se dirigeait vers un coin non loin de l'entrée de la demeure afin de se recueillir pour la prière du Fajr. A l'appel du muezzin, Ablaye et Boubacar se levaient eux aussi pour faire leurs ablutions et prier en famille, prière dirigée par le père de famille. Ces deux s'en allaient ensuite se recoucher à la fin de leur prière. Après cela, Rama s'attelait aux tâches ménagères. Elle commençait donc par astiquer de fond en comble la cour à l'aide d'un court et minuscule balai dont elle se servait. Son dos en souffrait à force de trop se pencher mais jamais elle n'avait dit mot à propos de cela.

Après avoir bien nettoyé, la jeune femme s'engageait à préparer le petit déjeuner pour sa famille. Pour cela il lui fallait chercher du bois car n'ayant pas accès au gaz. Ainsi Yaye Rama parcourait le village de Diarrère à la recherche de bois mort. Et c'est après plusieurs kilomètres qu'elle avait la chance d'en trouver. À son retour, elle allumait le feu, y posait leur unique marmite noircie par le temps et la fumée du feu de bois. Après y avoir versé de l'eau, elle s'asseyait sur sa petite natte et s'attelait, grâce à ses mains habiles, à la tâche transformer à l'aide d'eau, le mil moulu qu'elle malaxait pour obtenir à la fin des graines de taille moyenne. Ces dernières qui serviraient à préparer le "foondé" qui ferait office de premier repas de la journée. Ensuite elle versait le tout dans la marmite, tout en surveillant de temps en temps le feu.

Cette tâche accomplie, Rama se dirigeait vers la porte derrière l'enclos des moutons et qui leur servait de latrines mais également qui faisait office d'endroit pour se doucher. Elle s'emparait donc du seau en fer qu'elle remplissait d'eau, le reposait dans les toilettes avant d'aller réveiller son époux. Le premier homme de la famille se levait donc et s'y dirigeait.
Avant la toilette de Ablaye, Rama finissait de préparer son ''foondé'' prenant le soin d'y ajouter un peu de sel et de le verser dans un grand bol. Et c'est à ce moment, où l'odeur de la préparation embaumait toute la maison , que Boubacar faisait enfin son apparition à la porte de sa chambre, baillant et s'étirant. Le jeune homme s'asseyait ensuite à même le sol, attendant son père qui au bout de quelques minutes sortait. Le fils de Yaye Rama se dirigeait ensuite vers les toilettes pour le même rituel que son père.

Yaye Rama assaisonnait pendant ce temps la bouillie de mil avec juste du sucre. Boubacar revenait après avoir fini de se laver, saluait ses parents et rejoignait son père sur la natte pour lui aussi prendre son petit déjeuner.
La jeune femme les y laissait pour aller continuer sa routine de la journée. C'était maintenant le tour des deux chambres de la maison d'être balayées et dépoussiérees, les rideaux relevés et les fenêtres ouvertes pour permettre aux rayons du soleil de pénétrer dans l'enceinte de la pièce.
Après cela venait la lourde tâche de s'occuper du deuxième et dernier repas de la journée. Leur famille avait des ressources limitées mais elle faisait toujours tout pour assurer ce repas à son fils. En effet, Boubacar allait au lycée situé à la périphérie du village. Et cette année, il était en terminale. Le jeune homme très brillant faisait la fierté de ses parents mais surtout de sa mère. Et c'est pourquoi elle faisait tout pour le mettre dans de bonnes conditions et le motiver. Et ce c'était malgré les maigres revenus que lui procurait la vente de son poisson fumé ou ''ketiakh".

Rama n'avait eu la chance que d'avoir un seul enfant malgré son âge avancé, la plupart de ses grossesses s'étaient terminées par de mystérieuses fausses couches. Cependant Boubacar avait eu une grande sœur,  Ndeye Astou, cette dernière portant le nom de sa grand mère paternelle. Mais malheureusement elle était décédée à ses huit ans des causes d'une maladie à l'époque inconnue des guérisseurs et infirmiers. En effet Yaye Rama, dès le début de sa maladie avait emmené sa fille au poste de santé peu équipé en ressources humaines, avec un seul médecin pour tout le village. Ce dernier n'avait pas su déterminer le mal dont souffrait la petite Astou. Nullement découragée elle était allée voir Thiékoura, le vieux guérisseur du village à la recherche de son aide. Ce dernier les avait accueilli dans son espèce de chambre lugubre et apeurante, avec des gris-gris et des cornes attachées un peu partout. À la vue du visage de cet homme, Astou avait pris peur et s'était cachée dans les pans du pagne de sa mère. Ce dernier ne les laissa même pas parler. Il croqua dans une cola, cracha trois fois au loin avant de s'adresser à ses visiteuses. Il fit apparaître ses dents rougies par la cola, avant de prononcer ces mots:

Jusqu'au dernier souffleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant