Chapitre 2

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C'était Samedi, le jour même où Ablaye devait se rendre à Dakar pour rapporter à son patron l'argent de la vente. Ce n'était pas encore la fin du mois mais il espérait au plus profond de lui obtenir une avance de la part de Moussa son patron. Ce dernier le respectait et l'admirait tellement que dès qu'il arrivait à la maison, il lui faisait aménager la chambre d'amis pour qu'il se repose. Il veillait également à ce que Ablaye passe toujours la journée chez eux et qu'il assiste au repas de midi. Ablaye était donc devenu un habitué de la maison. De telle sorte que tout le monde le connaissait et la famille entière l'aimait.

Après avoir pris le petit déjeuner que son épouse avait préparé pour lui, Ablaye retourna dans sa chambre et prit son petit sac où il gardait l'argent. Puis il se dirigea vers la porte de sortie après avoir avisé Rama de son départ. Leur fils Boubacar lui était parti un peu plus tôt à l'école. Il marchait donc se dirigeant vers la place centrale afin de prendre un car qui le conduirait à Dakar.

- Ablaye Ablaye kharaal (attends)

C'était son épouse qui l'appelait, il se retourna voyant qu'elle arrivait à sa hauteur

- Tiens n'oublies pas ton chapeau il fait chaud dehors avec ce soleil

Le père de famille sourit puis la remercia et pris le chapeau qu'elle lui avait remis avant de continuer son chemin. Rama était la personne la plus attentionnée qu'il connaissait. Toujours, le bonheur des autres venait avant le sien, elle faisait toujours tout ce qui était en son pouvoir pour que personne ne se plaigne dans son entourage. Depuis près de vingt-cinq ans qu'il l'avait épousé et jamais Ablaye n'avait eu une quelconque déception par rapport à son comportement. Rama c'était LE type de femme, l'exemple même d'une épouse dévouée entièrement à son époux et à sa famille. Jamais au plus grand jamais il ne l'avait entendu se plaindre sur quoi que ce soit. Ce fut certes dur pour elle durant la période où elle faisait des fausses couches répétées. Où sa belle-famille ne cessait de la maudire disant toutes sortes de méchancetés sur elle. Mais la jeune mariée était restée stoïque face à tout cela.

En effet Rama était restée sept longues années après son mariage sans avoir d'enfant, et dès lors toutes sortes d'insinuations à son égard avaient commencé. Et cela allait jusqu'à ce qu'on la traite de tous les noms d'oiseaux, aussi bien venant de sa belle-famille que de ses voisins. Tous la pointaient du doigt et certains mêmes allaient jusqu'à la traiter de sorcière. Même les boubous les plus amples n'arrivaient pas à cacher son état et quand quelques mois après les gens ne voyaient ni un enfant pleurer ni un baptême célébré, ils recommençaient à parler d'elle de la manière la plus ignoble qui soit.

Dans le premier village où ils avaient habité une rumeur s'était répandue telle une trainée de poudre, disant qu'elle était un « deumm » (anthropophage). Cela était devenue une règle à cette époque, et donc si une femme accouchait d'un mort né, ou alors faisait des avortements répétés ou pire n'arrivait même pas à avoir d'enfant, tout le monde disait qu'elle les « mangeait ». Et ce village avait poussé le bouchon tellement loin que dès que Rama sortait de sa maison même si c'était pour aller cueillir des feuilles pour son repas du soir, chaque famille refermait soigneusement sa porte. Les enfants fuyaient, les commères se taisaient, tout s'arrêtait à son passage.

N'y tenant plus Ablaye avait décidé de migrer plus loin pour éviter à sa femme de vivre encore ce supplice. Certes elle ne disait rien mais il la surprenait des fois à pleurer dans un endroit isolé ou alors la nuit, elle laissait libre cours à son cœur et à ses larmes, pensant que son époux dormait.

Ils quittèrent donc le village de Keur Samba pour rejoindre celui de Diarrère. Mais c'était toujours comme si les habitants se l'étaient tenu pour dit car les rumeurs étaient à nouveau transportées. Et même la mort de Ndeye Astou, n'avait fait que les faire jacasser de plus belle, leur donnant plus l'occasion de parler de la famille de Yaye Rama.

Jusqu'au dernier souffleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant