J'envoie valser

Chapitre 8 : Réunion et changements

Tous les ans, fin mai, a lieu la traditionnelle réunion de répartition. Ce jour-là, les classes sont attribuées selon les différents niveaux et les élèves partagés dans les futures classes. Aussi bonne soit l'ambiance habituellement à l'école, les caractères changent et s'affirment, se dévoilent même parfois lors de cette réunion, et chacun ne pense plus qu'à soi, du moment qu'il peut éviter un cours double ou un élève difficile.

Nous nous installons tous en salle de réunion, et Brigitte, notre directrice, se dirige vers le tableau, l'air fatigué. Il y a deux ans, les deux enseignants de CM2 se sont violemment disputés pour échapper à un élève réputé terrible. Brigitte a dû faire un choix et a tiré au sort. La malheureuse élue a passé l'année à se plaindre et a demandé sa mutation à la fin de l'année dernière. L'herbe est toujours plus verte ailleurs. C'est Samuel qui l'a remplacée.

— Comme vous le savez, commence Brigitte, nous conservons douze classes l'an prochain. Compte tenu des effectifs, je vous propose les deux organisations suivantes : A : trois CP, deux CE1, trois CE2, deux CM1, deux CM2, avec des classes plus chargées sur certains niveaux, mais sans cours double ; ou B : trois CP, deux CE1, un CE1/CE2, deux CE2, un CM1, un CM1/CM2, et deux CM2. Les effectifs sont mieux répartis, mais il y a deux cours doubles.

Je vous laisse réfléchir et on vote à main levée quand vous êtes prêts.

Sans surprise, la majorité choisit la première option. Nous soufflons, déjà moins de risques d'affrontement.

Brigitte inscrit les différentes classes au tableau de la salle, puis poursuit :

— Si on part du postulat que chacun garde le même niveau, on se retrouve avec deux classes vacantes : le CE1 d'Élodie qui sera en congé maternité puis en congé parental jusqu'à la fin de l'année, et un CE2 puisque Fathia a obtenu un poste plus près de chez elle, et nous abandonne donc. Est-ce que quelqu'un souhaite changer de niveau ?

Personne ne répond. C'est une curieuse question, rien n'est plus sédentaire qu'un instit, la plupart ne changent que s'ils y sont obligés, et encore. Puis, soudain, une voix, calme et tranquille s'élève.

— Moi, je veux bien prendre le CE1.

Abasourdis, nous nous tournons vers Samuel.

— Tu es sûr Samuel ? Ce ne sera sans doute que pour un an... Et puis ce n'est pas évident de se retrouver avec des petits quand on quitte des préados. Ils sont bavards, peu autonomes...

— Je suis sûr que ça ira. Et puis Milla m'aidera, si elle est d'accord.

Il me regarde en souriant. Je m'empourpre.

— Bien entendu.

Je parle le moins possible, pour tenter de ne pas laisser apparaître mon trouble. J'ai l'impression que tout le monde nous regarde, mais en réalité, les autres se fichent bien de nous, trop soulagés que la première partie de la réunion se soit déroulée sans encombre.

Tout de suite, je me demande si Samuel a fait le choix du CE1 pour que l'on travaille ensemble, puis me raisonne. Nous nous parlons à peine, ne partageons rien. Il doit simplement préférer enseigner dans les petites classes.

Le reste de la réunion se poursuit calmement. Avec les collègues de CP, nous nous partageons ceux qui deviendront nos élèves en septembre. Comme à son habitude, Samuel est posé et souriant, mais n'ouvre la bouche qu'en cas de nécessité. Une fois la répartition achevée, je rejoins les collègues de CE2 pour répartir mes actuels élèves de CE1 et Samuel retourne dans sa classe sans un regard ni un mot pour moi.

Peu après la fin de la réunion, je bavarde dans le couloir avec Sandra, Émilie et Patricia quand il se joint à nous. Sandra, qui tente toujours de flirter avec lui, l'interroge sur ses motivations.

— J'ai besoin de changement, et j'aime les challenges.

Réponse laconique, comme à son habitude, qui clôt la conversation.

Alors que chacun s'apprête à rentrer chez soi, Samuel attend un instant que les collègues s'éloignent puis se penche à mon oreille et me souffle :

— Je suis content de pouvoir bientôt travailler avec toi.

Puis il s'éloigne rapidement, avant que je n'aie eu le temps de répondre.