Mimétisme

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Un cri haut perché retentit, couplé d'un bruissement indistinct.

  - J'imagine que ça répond à ta question sur les proies, souffle le marine tout en rabaissant la visière de son casque. Vite ! Attrapez vos affaires et courez !

  Ses deux compagnons lui obéissent dans la seconde. La criminelle fourre la lettre de l'infortuné ex-compagnon du marine dans une des poches de son pull et s'arme de son vieux pistolet à barillet tandis que le pilote change de chargeur et distribue les sacs de nourriture. Apeuré, les flancs animés par une respiration saccadée, le labrador court d'un membre de l'expédition à l'autre en gémissant doucement.

  Le tumulte des prédateurs se rapproche à grande vitesse et les aventuriers distinguent parmi les croassement des ennemis invisibles le sifflement de l'air chassé par de grandes ailes. Le soldat d'élite est le premier à faire un constat troublant : le bruit vient non de derrière eux, mais de devant.

  - Merde ! Les gars, baissez-vous !

  Les trois aventuriers ont à peine le temps de s'accroupir que déboule dans le couloir étroit une nuée compacte d'oiseaux. Les volatiles, d'un plumage sombre et sale et munis de longs becs fins, traversent le corridor naturel à une vitesse phénoménale. Un second groupe, plus lent, vient rejoindre le premier. La criminelle grimace lorsque l'une des bêtes la survole, un rat éventré mais vivant dans ses serres. Avant même que le marine ait le temps de dire à ses compagnons d'avancer, la horde revient à l'attaque, plus fébrile encore que lors de son premier passage. Cette fois-ci cependant, la masse noire reste silencieuse et plane sous le plafond bas en pierre.

  Voyant que les oiseaux ne s'en vont pas, le soldat d'élite se décide à ramper, mais se fait arrêter après quelques mètres par un imposant spécimen qui se pose sur le sol. Le marine s'immobilise. Trop tard. Le volatile l'a repéré et le fixe de ses deux billes jaunes. Il penche sa tête sur le côté, intrigué par le casque de l'homme noir. L'affrontement visuel dure une bonne minute, pendant laquelle aucun des deux belligérants ne bouge d'un cheveu. Soudain, l'oiseau projette sa tête en avant et son bec orangé entre en contact avec l'armure en plastique.

  Se produit alors un phénomène étrange : au lieu de se faire arrêter par le casque, le bec s'enfonce dans la matière dure en grésillant. Une fois enfoncé d'un centimètre, l'animal se retire et recommence l'opération. A nouveau, le casque fond instantanément là où le bec l'atteint. Ce manège se répète, encore et encore, mais aucun des compagnons n'ose bouger, de peur d'attirer le reste des rapaces. Le casque du marine est constellé maintenant d'une myriade de petits trous, et le plastique se gondole peu à peu sous la chaleur qui provient du bec du prédateur.

  Le marine, conscient de sa situation plus que périlleuse, se prépare à attaquer son adversaire lorsque l'attention de celui-ci est détournée par le bruit d'une chute de caillou, provoquée par le tremblement incontrôlable de la jambe du pilote. Mais il n'est pas le seul à l'entendre. Ayant enfin localisé l'ennemi, le nuage de volatile s'élance vers le jeune homme, dont le visage jaunâtre blêmit de peur. Au dernier moment, celui-ci cache son visage derrière ses bras, qui deviennent alors la cible. Trois des rapaces se posent sur les avants-bras du pilote, et le tissu du pull se consume rapidement, exposant la peau qui commence à rougir à son tour. Une dizaine de rapaces vole autour de leur nouvelle victime, tentant d'arracher un bout de chair par-ci par-là. Ses cris de douleur résonnent de plus en plus fort dans le couloir et l'air empeste le brûlé.

  Il est sauvé par une pierre qui atteint l'un des oiseau à la tête. L'animal s'élève dans les airs dans un croassement plaintif, mais il est aussitôt remplacé par un autre, identique au premier. Mais les acolytes du pilote ne désespèrent pas, et c'est bientôt une véritable pluie qui s'abat sur la horde de rapaces. Après quelques lancers particulièrement virulents, les oiseaux lâchent enfin leur proie et s'envolent vers la partie déjà explorée des souterrains.

  - Est-ce que ça va ? demande la fugitive en rejoignant le jeune militaire.

  - Qu'est-ce tu crois ? Bien sûr que non, espèce de débile ! T'as vu ce qu'ils m'ont fait ?! J'ai des putains de brûlures au second degré à cause de ces piafs !

  - Arrêtez de crier, tous les deux ! enjoint le marine à ses camarades. On soignera tes brûlures plus tard, le chiot, alors évite de geindre. Quant à toi, la blonde, prend la moitié des sacs de vivres, je m'occupe de l'autre. Et gamin, sort ton flingue et couvre-nous, on sait jamais s'ils reviennent.

  Le pilote lui adresse un regard plein de colère et s'arme maladroitement de son Beretta. Il retient une plainte de douleur lorsque les cloques sur ses paumes entrent en contact avec le métal froid de l'arme et hèle ensuite le chien, qui s'empresse de rejoindre son nouveau maître. Pendant ce temps, l'autre militaire et la jeune blonde aux cheveux gras s'équipent de tous les bagages de la petite expéditions. En silence, les aventuriers reprennent leur progression dans les tunnels.

   Plusieurs minutes après l'incident, les mêmes croassements se font entendre, cette fois-ci dans le dos des infortunés explorateurs. La nuée de rapaces réapparaît et fonce sur les intrus. Mais les oiseaux ne sont pas revenus les serres vides : chacun des volatiles transporte un morceau de roche. Certains de ces cailloux ne feraient aucun dégât vu leur taille, mais d'autres, plus impressionnants, pourraient facilement briser un membre ou même un crâne.

   Malheureusement, les trois aventuriers ne se rendent compte du retour en force de leur ennemi que trop tard : déjà les premiers cailloux heurtent le sol à leurs pieds tandis que d'autres se coincent dans leurs vêtements. Soudain, le plus grand rapace du groupe, qui a pris en grippe le casque du marine, revient à la charge, portant dans ses serres un énorme rocher. Il repère en quelques secondes l'armure bleue foncée du soldat noir et pique dans sa direction.

   - Déplace-toi, vite ! hurle la criminelle à son compagnon d'infortune.

   Mais la cible n'a même pas le temps de lever la tête pour voir la menace que déjà s'abat sur son casque un bloc de pierre compact. La visière se fissure en une mosaïque complexe et une plainte sourde parvient aux oreilles de la fugitive et du pilote. Néanmoins, le soldat d'élite semble toujours conscient et ordonne d'une voix étouffée :

   - On doit battre en retraite, maintenant !

   Ses deux acolytes hochent de la tête et s'enfoncent en courant dans les souterrains, talonnés par le labrador de la défunte indienne et une myriade de rapaces au bec et serres brûlants.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 14, 2017 ⏰

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Le Donjon du Condamné [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant