Partie 6

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Je n'avais jamais été aussi heureuse de voir le hall du rez-de-chaussée. Je murmurais un hamdoulilah dans un soupir quand mon voisin prit la parole alors que nous marchions vers la sortie.

-C'est quand même bizarre cette histoire. J'irai en toucher un mot au gardien ce soir.

Intérieurement, je le remerciais presque d'avoir confirmé que je n'avais pas rêvé.

-Oui, enfin ce sont des choses qui arrivent.

Je m'imaginais déjà mon voisin en train de réclamer justice pour le préjudice subi. C'était plus fort que moi, je pensais déjà au pauvre gars de la maintenance qui allait se faire remonter les bretelles, et étant donné le standing de cette résidence, peut être allait il même se faire virer à cause de cette négligence. Je louais un petit studio mais la plupart des appartements ici avaient assez de mètres carrés pour loger des villages entiers.

-Au prix qu'on paye la maintenance, ça ne devrait pas arriver.

-Je sais bien... mais peut être était-ce juste une défaillance technique due à la coupure de courant. Ce serait prématuré de les accuser à tort.

À m'entendre, on aurait pu croire que je défendais un condamné à mort. Et je crois qu'il avait compris que j'essayais de le dissuader d'envoyer quelqu'un pointer au chômage.

-C'est l'avocate ou la locataire qui parle? C'est un conflit d'intérêt je crois.

Son argument me fit sourire. Nous marchions côte à côte tels des étrangers, pourtant tout avait changé. Ce moment passé dans une intimité forcée rapprochait, forcément. Il y avait autant de chances que l'on ait une autre de ces conversations que de croiser un pigeon dans le désert. Pourtant mon regard avait changé et je me demandais si c'était réciproque. Cela me rappelait un roman où des gens de différents horizons avaient été enfermés à leur insu et qui finissaient par s'allier dans l'épreuve et devenir très proches, des personnes qui, en temps normal ne se seraient jamais croisées ni même adressées la parole. Mon esprit de philosophe ne pouvait s'empêcher de tergiverser, se demandant si en fin de compte, la nature humaine ne devait pas subir un coup de pouce parfois. C'est comme si les gens passaient leur temps à se fuir et que seul un incident pouvait les contraindre à se parler et à se découvrir. Oui, c'était une idée à développer mais pas pour le moment. Alors que j'étais absorbée par mes songeries existentielles, nous étions déjà à l'extérieur.

Mon voisin se dirigea vers l'entrée du parking, et voyant que je ne le suivais pas, se retourna d'un air surpris.

-Vous n'êtes pas véhiculée ?

-Et non! Vous n'avez pas de téléphone portable, moi je n'ai pas de voiture, c'est un choix comme un autre.

Je répondis sur un ton amusé, m'ayant pris au jeu de lui renvoyer l'ascenseur, si je puis dire...

-Quand les portables se mettront à rouler, je vous assure que je reconsidérerais mon choix! Il sourit et eut l'air d'hésiter une seconde avant d'ajouter "Vous voulez que je vous dépose?"

C'est vrai que nous venions vient de passer une heure en tête-à-tête dans un ascenseur mais je ne me voyais pas pour autant monter dans la voiture d'un voisin que je connaissais à peine. En retard ou pas.

-Non ça va aller merci! Il risque d'y avoir des bouchons et je risquerais d'être encore plus en retard même si je pense que c'est perdu d'avance...

-Et bien bon courage! À la prochaine alors.

-Oui.. Merci!

En accompagnant mon remerciement d'un geste de la main, me voilà partie, en hâtant le pas d'une marche rapide. Le dernière fois que j'ai couru devait remonter au lycée. Mais à l'époque, je n'avais pas le sac de Mary Poppins et deux tailles de bonnets en plus.
Je regardais mon portable qui avait enfin retrouvé son réseau et je chuchotais un "bon à rien" à son égard. C'est toujours quand on a besoin de ces choses là qu'elles nous lâchent sans pitié. Il affichait 9:45. Dire que j'avais prévu d'arriver en avance. Je me demandais quelle force intérieure m'empêchait de rentrer chez moi pleurer sur mon sort en m'affalant sur mon canapé avec un bon roman et un thé chaud. J'étais presque sûre de me faire rembarrer dès mon arrivée alors à quoi bon?

Mais tel un automate, je continuais d'avancer, avec le maigre espoir que je ne serais pas déçue.
Après 15 minutes de transports en commun et quelques mètres plus loin, j'arrivais devant le prestigieux bâtiment de la société. J'imaginais déjà la secrétaire me regardant de son air condescendant en pensant "Non seulement elle est en retard mais en plus elle est voilée."

Il est encore temps de partir. J'appellerai pour dire que j'ai eu un empêchement, que j'étais malade. Mais ce serait mentir, et comment Dieu me donnerait la baraka dans cet emploi si je commence par un mensonge. Allez courage.

Derrière les portes Où les histoires vivent. Découvrez maintenant