V. Changer de lieu

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Quand il eût fini son affaire, le chef se rhabilla et ordonna à Laure de se revêtir à son tour. La jeune fille ne bougeait pas, elle avait mal. Elle qui avait toujours imaginé la perte de sa virginité autrement, elle était dévastée et perplexe ; le fait qu'elle ne soit plus vierge ne la perturbait pas en soi. Néanmoins, s'être fait violée si.

- Qu'est-ce que t'attends ? cracha le chef.

Laure releva brusquement la tête. Elle ne mit pas plus d'une seconde à réaliser qu'elle n'avait plus de bas : elle ramassa sa culotte, l'enfila puis remit sa brassière comme il le fallait. Elle restait légèrement voutée. Maintenant, elle était vraiment inquiète : qu'allaient-ils faire d'elle ? Et Gabriel ? Elle se risqua à poser la question. La réponse fut brève :

- Le gosse ? Un soldat l'a pris. Qu'on amène le soldat Friez !

Elle sursauta à l'arrivée, deux minutes plus tard, du fameux soldat. Il était grand et assez baraqué. Son visage était couvert de cicatrices récentes, mais Laure ne le voyait que de profil. Il se mit au garde à vous.

- Qu'as-tu fait du gamin ? demanda le chef.

- Je l'ai couché dans ma tente, colonel !

Un poids s'enleva de la poitrine de la jeune femme. Ils n'avaient pas tué l'enfant. Le colonel hocha la tête, et lui ordonna de partir. Rapide et concret. L'armée. Cependant, Laure ne comprenait pas : n'importe qui aurait été tenté de regarder l'autre personne présente dans la tente, mais lui ne l'avait pas fait. Et surtout, elle n'avait pas pu voir son visage en entier, et cela la frustrait.

***

Durant trois mois, Laure fut trimballée de tente en tente, afin d'assouvir le plaisir des soldats. Elle les comptait dans sa tête : quatre-vingt-dix-huit en tout. Quatre-vingt-dix-huit à l'avoir pénétrée, à l'avoir salie, à l'avoir laissée en plan ensuite. La journée, ils la laissaient à peu près tranquille : elle se « reposait » dans une petite tente avec les deux autres femmes. Elles n'avaient ni le droit de se parler, ni le droit de se toucher. Elle savait juste leurs prénoms : Sabrina et Xolia. Toutes les trois avaient maigri durant ces trois mois ; la nourriture se faisait déjà rare, alors pourquoi se préoccuper des salopes? Car oui, c'est ce qu'elles étaient devenues, des salopes.

Mais en fin d'après-midi, à partir de dix-huit heures, les soldats revenaient du combat. Les coups de feu et les explosions que Laure entendait cessaient, laissant place au repos, puis ils reprenaient le lendemain à l'aube. Elle avait réussi à dénicher quelques informations aux soldats qui passaient lui rendre « visite » : la guerre les opposait aux américains. Ils n'auraient su dire pourquoi, néanmoins c'étaient les ordres et ils devaient les respecter. D'ailleurs, certains vouaient une véritable haine envers l'ennemi.

Mais ce jour-là était différent : il fallait déplacer le campement. Et bien sûr, il n'y avait pas assez d'avion ni assez de voitures pour transporter tout le monde. Alors trois quarts des soldats et les trois prostituées devaient s'y rendre à pied. Cependant, était-ce la providence ou le hasard, Laure n'en savait rien, une femme lui proposa de la transporter. Mais ce à une condition : qu'elle lui appartienne.

Au début, Laure était confuse ; elle n'avait jamais vu cette femme, et que signifiait « lui appartienne » ? Voyant sa gêne, la femme rajouta :

- Je suis colonelle. Et j'ai des besoins, comme tous les hommes ici.

La jeune femme réfléchit puis finit par accepter. Cela ne pourrait être pire que la situation actuelle de toute façon. Elle monta alors dans la voiture militaire côté passager et le trajet se fit sans encombre. La femme, elle s'appelait Roxane, avait reçu plusieurs appels indiquant le libre passage. Parfois, elle devait s'arrêter et prendre un autre chemin, car celui prévu initialement avait été bombardé.

Laure détailla un peu mieux sa nouvelle « maitresse ». Roxane était brune, un peu plus grande que Laure, les yeux noisette et le teint pâle. Elle inspirait vraiment le respect, ce qui était malheureusement très utile pour une femme dans l'armée. Elle ne savait pas vraiment ce qui allait lui arriver. Et l'enfant, allaient-ils l'abandonner ?

Comme si elle avait entendu ses pensées, Roxanne déclara :

- Le bébé est en sécurité avec le soldat Friez. Je te le promets, ajouta-t-elle face à la moue incertaine de Laure.

Plus que quinze minutes de transport, et ils seraient arrivés. Mais après, les bombardements reprendront. Et pourquoi changer de lieu ? La jeune femme posa la question et fût surprise d'avoir une réponse cordiale de la part de son interlocutrice :

- Les américains avaient trouvé notre camp principal ; il fallait bouger. Mais ne t'en fais pas, cette fois nous serons en sécurité.

Et elle lui prit la main. Tout d'abord anxieuse, Laure se détendit. Elle l'aimait bien et elle était gentille avec elle. Tout ce qu'elle espérait, c'est que cela dure.

La Terre, la Guerre -TERMINE-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant