1 (suite)

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Après une telle déclaration, Liliacea décida de lever la séance du conseil. Il y avait à faire pour préparer la procréation. L'événement allait rapidement être connu dans tout le royaume.

La salle se vida petit à petit, avec un brin d'excitation dans les conversations des femmes. La reine passa avec hâte devant Physalis, visiblement décontenancée par cette annonce inattendue. Elle ne lui adressa pas un signe, même lorsque la princesse se leva sur son passage, et elle quitta la salle sans un mot.

Physalis allait reprendre son livre et partir à son tour, quand Cyclamen la coupa dans son élan.

La conseillère semblait furieuse. Elle attrapa le Codex, et l'invita avec fermeté à la suivre. Une fois seules dans le couloir, elle s'arrêta.

— Êtes-vous devenue folle ? Pourquoi avoir mis Sa Majesté dans un tel embarras devant tout le conseil ? Et pourquoi ne m'avez-vous pas parlé de tout cela avant ?

— Je sais que cela paraît fou, mais j'ai pris ma décision et je voulais l'assumer seule, expliqua Physalis.

Cyclamen fit rouler ses yeux bruns.

— Un procréateur ? Que vous est-il passé par la tête ? Je sais bien que vous n'êtes pas une princesse comme les autres... mais tout de même !

— Je suis désolée de t'avoir mis dans l'embarras.

Physalis était sincère dans ses excuses. Si elle ne s'inquiétait pas plus que ça pour la réaction de la reine, elle avait bien plus à cœur de ne pas froisser sa conseillère.

Cyclamen s'en rendit compte, et elle était bien trop prise d'affection pour la jeune princesse pour rester longtemps fâchée. Elle secoua la tête.

— Non, je sais bien que vous ne pensiez pas à mal... Si vous faites ce choix, c'est qu'il doit y avoir une bonne raison.

Physalis baissa un peu la voix pour se confier à sa conseillère.

— Je sais que certaines ne comprendront pas, mais procréer avec un homme... c'est cela qui me semble naturel.

Cyclamen parut dubitative. Après quelques secondes de silence, elle finit par hausser les épaules puis esquissa un léger sourire.

— Bon. Je vais de ce pas ranger cette précieuse archive, dit-elle en tapant avec vigueur sur le livre, et je viendrai vous trouver plus tard pour régler tous les détails du protocole.

— Merci, soupira Physalis.

Avant de partir, Cyclamen ajouta :

— J'espère que nous aurons ensuite le loisir de discuter de vos opinions, en toute honnêteté cette fois.

— Oui, je l'espère aussi.

La conseillère eut un petit rire puis disparut rapidement au détour du couloir.

Physalis était soulagée. Elle avait tenu tête à sa mère et obtenu ce qu'elle souhaitait. En tant que future héritière de Sàlissa, ce n'était pourtant pas gagné d'avance. Cela devait bien faire trois générations qu'aucune princesse n'avait fait appel à un procréateur...


Physalis décida d'aller se promener dans la cité. Elle avait encore un peu de temps avant d'être assaillie de questions, elle pouvait donc s'éclipser une heure ou deux.

Elle connaissait par cœur les chemins à emprunter pour rester discrète. Déjà, elle se dérobait par l'une des portes du palais, échappant à la vigilance de la garde royale, et s'engageait dans une allée voisine.

Le royaume de Sàlissa se situait dans l'hémisphère Nord, aux abords de l'océan. Il était entouré par un immense désert protecteur, dont le seul moyen pour le traverser était le grand Train Blanc qui menait jusqu'à la province des Agoras.

Grâce à cette situation, le climat était plutôt tempéré, même si l'on n'y distinguait pas vraiment les saisons. La région abritait la grande cité de Sàlissa, entourée de quelques villages. Quelques provinces éloignées étaient rattachées à son autorité, mais l'essentiel de la population vivait dans la baie de Sàlissa.

Malgré sa petite superficie, c'était l'un des royaumes les plus influents du monde, car il avait à sa tête la descendance de Vénus. La célèbre Amazone, celle-là même qui avait changé la face du monde...

L'héritage de Vénus se perpétuait dans Physalis, mais son ancêtre lui semblait pourtant terriblement lointaine. Avaient-elles vraiment un quelconque point commun ?

Alors qu'elle arpentait les rues les plus calmes de la cité, se laissant emporter par ses réflexions, Physalis ne croisa que quelques femmes sorties tôt pour profiter de la fraîcheur du matin.

Un doux vent marin soufflait par intermittence. Elle aperçut aussi quelques hommes à travers les fenêtres des maisonnées, sans doute en train de s'affairer à préparer le repas du midi.

La cité semblait paisible, et Physalis aimait profiter du silence. Elle tourna au coin d'une petite rue pavée d'où l'on pouvait déjà apercevoir l'océan. En s'approchant du coin de plage isolé, elle retira ses sandales et plongea ses pieds dans le sable chaud. Elle marcha un peu, avant de s'asseoir face à l'étendue d'eau.

Quelques petits flotteurs, des sortes de bateaux blancs à propulsion hydraulique, semblaient planer dans la baie, avançant avec fierté au-dessus de l'eau, sans souffrir du mouvement des vagues. Au loin, bien au-delà de ces engins modernes, un grand bateau en bois aux voiles blanches voguait sur l'horizon.

Les pensées de Physalis étaient à présent plus claires.

Si elle avait choisi la procréation naturelle, c'était bien parce qu'elle voulait être libre de son corps. Elle qui se sentait en permanence recluse dans ce palais, à qui l'on imposait des protocoles sans jamais lui demander son avis, elle voulait plus que jamais prendre le contrôle de sa vie.

Elle était obligée de donner une héritière au trône, alors elle pouvait bien décider de la manière !

Après tout, la plupart des femmes qui souhaitaient enfanter procédaient ainsi. Évidemment, pas dans la haute société, puisque c'était mal vu. Physalis avait bien entendu quelques rumeurs sur certaines femmes du palais qui auraient recours aux services de procréateur, mais ce n'était sans doute que des bruits de couloir.

L'insémination coûtait cher, mais elle était rassurante, car elle rendait le hasard génétique plus maîtrisable, et surtout, elle permettait d'éviter l'intimité avec un homme.

Au fil de ses pensées, Physalis finit par se rendre compte que sa décision n'était pas si simple. Elle ne craignait pas les hommes, elle ne les trouvait pas repoussants... mais elle ne les connaissait tout simplement pas.

Elle n'était même pas tout à fait sûre de la bonne manière de procréer. À cette idée, elle sentit ses joues s'échauffer.

Elle allait devoir choisir un procréateur, mais sur quels critères ? La beauté ? La robustesse ? Son imagination s'affola. Elle se dit même pendant un court instant qu'elle regrettait son choix, avant de se raviser. Non, elle était sûre d'elle. Sa conviction était profonde, et renforcée par une intuition infaillible. Être intime avec un homme ne devait pas être si effrayant...

Une brise légère souleva ses cheveux et un frisson la parcourut. La princesse se redressa puis décida de rentrer au palais, avant que son monologue intérieur ne lui provoque encore plus d'angoisses.

Les Enfants de Vénus (extrait)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant