Coup de Théâtre !

Ne t'inquiète pas ... Tout va bien se passer ...

L'action se passe à Saint-Jean de Poquelin, une ville fictive dans le département de l’Eure. La maison se trouve à l'adresse 12 Rue du Gui et nous sommes le 13 décembre 2015.

Julie était tellement perdue dans ses pensées qu'elle sursauta quand Anna, à l’entrebâillement de la porte, l’interpella :

« J'ai fini, madame, dit-elle. Je n'ai pas pu terminer le repassage mais la salle de bain et votre chambre sont faites.

–Merci, dit Julie, je vous aurais bien serré la main mais là...

  Elle lui montra ses mains pleines de jus de fraises, un peu gênée. Elle était en plein dans l'élaboration d'un gâteau pour ce soir. Cette soirée était une soirée importante pour elle et Anna le savait.
 
–Je me contenterai d'un au revoir alors, madame, dit-elle avec un léger sourire.

Julie eut un sourire réprobateur. Anna n'était pas la fille la plus drôle ou la plus extravagante du monde mais elle savait écouter les gens, comprendre ce qui n'allait pas chez eux et justement en ce moment, Julie n'allait pas bien. Anna était devenue une sorte de confidente pour Julie et ça la mettait mal à l'aise quand celle-ci l’appelait « madame ». Elle lui avait dit d'arrêter mais celle-ci persistait. Voyant que la femme de ménage restait là, elle lui demanda:

–Voulez-vous que je vous aide à fermer la porte ? Elle est un peu compliquée donc ...
–  Non, j'y arriverai, ne vous inquiétez pas et madame...

Anna la regarda droit dans les yeux.

–Bonne chance.

Julie la remercia d'un sourire. Anna longea le couloir, enfila ses chaussures et ouvrit la porte avec son double des clés. En la claquant très fort et en poussant la poignée vers le haut, elle réussit à la fermer, laissant seule Julie dans la grande maison de briques crépies,  à l’intérieur bourré de  papier peint jaune, où seul résonnaient les tic-tacs incessants de la grande pendule en bois dans le salon, offert par sa mère le jour de son mariage. Pour que tu n'oublies pas le temps qui passe, avait marqué sa mère sur le papier cadeau. Ce souvenir fît sourire Julie.

Sa mère avait toujours su lire en elle comme dans un livre ouvert et ce cadeau en était encore la preuve. Ses mains tremblaient tout en posant les fraises dans la pâte. Le temps... elle ne l'avait pas vu passer finalement, malgré les avertissements de sa mère.

Julie était la chef d'une petite entreprise de parapluies qu'elle avait fondée (elle avait voulu faire ça dès qu'elle avait vu Mary Poppins descendre du ciel). Elle avait la chance de pouvoir dire que les affaires marchaient bien et qu'elle aimait son boulot, elle aimait vraiment son boulot. C'était un rêve qu'elle avait depuis l'adolescence et le voir se réaliser était tout simplement merveilleux. Son mari, Joseph, écrivait, lui, des articles dans un hebdomadaire de la région. Sa carrière n'était pas fleurissante mais il adorait écrire et il avait plusieurs fois écrit des romans qui n'ont malheureusement pas rencontrés de succès.

Lorsqu'ils s'étaient rencontrés, ils étaient jeunes, insouciants et nourrissaient beaucoup d'espoir pour l'avenir. Mais alors que leur couple avait vieilli, l'entreprise de Julie s'agrandissait alors que l'activité d'écrivain de Joseph stagnait. Bientôt vinrent les affaires à  l'étranger et Julie dû beaucoup partir en déplacement, laissant Joseph seul dans l’amertume et la jalousie.

Elle était tellement aveuglée par la réussite que la lettre qu'elle trouva en rentrant un jour fut comme un coup de maillet sur le crâne. Il était parti... Il avait besoin de faire un break... Il n'en pouvait plus...

Il était donc parti vivre dans un hôtel ses trois derniers mois. Il lui avait laissé la maison, disant que c'était plus logique que ce soit elle qui la garde puisque c'est elle qui en payait la totalité.

Julie ramena ses cheveux blonds en arrière et soupira pour évacuer le stress. Ses trente ans passés ne l’auraient pas empêché de retrouver quelqu'un car elle possédait quelques grâces que même le temps ne pouvait ternir. Ses yeux étaient bleu-vert et elle avait une fossette sur la joue gauche quand elle souriait.

Mais jamais elle n'a pensé au divorce. Elle aimait Joseph et tout ce qui allait avec ! Son crâne dégarni, sa petite taille ou même son bégaiement lui plaisait ! Elle aimait leur sorties le samedi soir au théâtre du coin ou quand il l'invitait à un restaurant en ville ! Elle aimait leur petite vie de couple qu'ils avaient formé ensemble et ne voulait pas que cela s'arrête.  Elle ne le cherchait plus l'homme de sa vie puisqu'elle l'avait trouvé ! Il n'était pas parfait mais elle non plus, et son cœur l'avait choisi. Elle le savait, elle en était sûre depuis qu'elle avait dit oui à l'église. Elle l'aimait et s’il fallait qu'elle quitte son travail pour qu'il soit ensemble, elle le ferait ! 

Lorsqu'elle eut mis la pâte dans le moule noir après l'avoir beurré et fariné, elle le fit cuire dans le four préchauffé à 190°C (Thermostat 6). Un gâteau à la fraise... C'était le gâteau de leur mariage. Ce n'était pas très original et ça ne demande pas beaucoup de préparation mais elle ne pouvait pas faire mieux ! Elle savait gérer une entreprise mais pas un couple apparemment ! La sonnerie de la pendule la sortit de ses rêveries. La pendule sonnait 22h. Il allait arriver.

Aujourd'hui, c'était leur anniversaire de mariage, il avait accepté de revenir. Elle était nerveuse, encore plus nerveuse qu'à son mariage mais il fallait que ça marche, elle devait y arriver !

Soudain, une dizaine de minutes plus tard, elle entendit marcher dans le petit escalier. Mon dieu, se dit-elle, c'est lui ! Rapidement, elle rajusta sa mèche et regarda une dernière fois
dans le four si sa robe ne l'a rendait pas trop grosse, non tout ira bien. Elle entendit la clé tourner dans la serrure puis la porte s'ouvrit. Son cœur battait la chamade, elle essaya de dire quelque chose comme « Salut » mais aucun son ne sortait de sa bouche, elle était paralysé. Elle ferma les yeux et déglutit. Allez, se dit-elle, c'est pas plus compliqué qu'une rencontre avec un grand patron, bon sang !

« Chérie, tu es là ?

À suivre...