Problème d'audition

30 3 0
                                    

Mathis était un artiste, ça il en était persuadé. Depuis tout petit, sa famille et ses profs le félicitaient de son aisance à l'orale, de sa grande sensibilité à chaque spectacle de fin d'année, après qu'il ait ébloui la scène de sa performance frappante de maître Renard dans la récitation des fables de La Fontaine. Il avait essayé depuis beaucoup de disciplines : peinture, musique, sculpture... Mais même si Mathis avait une voix magnifique et qu'il savait magner le pinceau comme personne, il sentait au fond de lui que ce n'était pas à ça qu'il était destiné. Comme il s'amusait à répéter à ses camarades en 6ème, il sentait qu'il n'avait pas encore trouver sa « voie ».

Et justement, sa voie, il la trouva un soir, pendant les vacances d'été durant une soirée télé avec ses parents où il regardait Shining de Stanley Kubrick. Alors que sa mère avait quitté la pièce car le film lui faisait trop peur, lui vivait peut être l'expérience la plus intense de toute sa vie. Avec ce sourire toujours un peu perturbant, Mathis ne regardait pas, non, il admirait la performance de Jack Nicholson. Le sourire, l'intonation, la gestuelle, tout le fascinait dans ce personnage. Lors de la scène de la batte de baseball, Mathis eu même un frisson qui lui donna la chair de poule. Les poils hérissés sur tout le corps, il savourait avec une jouissance infinie ce moment, l'œil fasciné, un sourire béat collé aux lèvres. Il en parla à sa mère (celle-ci crut d'ailleurs qu'il avait eu son éveil sexuel) et le lendemain, après une nuit entière de réflexion, il annonça à sa mère qu'il voulait faire du théâtre.





Ce fut une révélation. Si Mathis avait brillé dans son interprétation de maître Renard, il étincelait tout simplement dans son interprétation de Scapin.

Aussi à l'aise avec un public que s'il parlait à son meilleur ami, il avait l'œil malin de l'acteur sachant, en quelques répliques, amener le spectateur dans leur monde imaginaire. Il était autant un mime exceptionnel qu'un imitateur de voix né, emplissant la scène de son jeu plein d'audace et d'ingéniosité. Jamais une seule de ses répliques n'étaient à côté et si par malheur un de ses coéquipiers se trompait ou oubliait son texte, il savait comment rebondir, improviser pour permettre à la pièce d'avancer (et je vous ferais remarquer qu'improviser sur la langue de Molière est loin d'être aisé).

Enchaînant les années de théâtre, sa prof lui conseilla de tenter le conservatoire de Paris ce qu'il fît. Reçu avec brio, il en sortit diplômé et ses parents étaient fiers de lui. Tout le monde lui prédisait une grande carrière et c'est sur cette confiance qu'il entra dans le monde impitoyable des artistes. Et pourtant, aujourd'hui, Mathis se trouvait en train de passer une petite audition dans une bourgade pourrie nommé Gaura dans un tout petit théâtre pour une pièce contemporaine. Pour une raison inconnue, aucune des auditions qu'il avait essayée ne s'était bien passée. Trop grand, trop petit ... Manque de préparation, d'expérience... Pas le physique pour le rôle...etc. Et finalement, lui à qui on prédisait la comédie française avait chuté dans le milieu artistique (les lettres de ses professeurs n'ayant rien changé).

Assis dans les coulisses, il relisait une dernière fois son texte. L'histoire parlait d'un homme qui, dévasté par l'amour, devenait fou et commettait l'irréparable. Il écoutait, non sans un certain plaisir, la voix de ses concurrents débiter leurs textes maladroitement, faisant des pauses pour se rappeler de leurs répliques. Mathis, avec son éternel sourire de confiance absolue, n'avait pas vu tous les concurrents mais du peu qu'il en avait entendu, il était plutôt confiant. C'était une chute pour mieux rebondir, se disait-il et peut-être avait-il raison.

Lorsqu'on l'appela, Mathis rajusta ses longs cheveux bruns en arrière et se dirigea vers la scène. Il y avait trois jurys : La première était une petite femme à lunette sur laquelle, malgré ses efforts pour rester sérieuse et impassible, on pouvait lire l'agacement d'une longue journée de casting et l'envie de rentrer chez elle; l'homme à sa droite était un petit jeune d'une vingtaine d'années, habillé d'un simple tee-shirt d'un vert uniformément clair et dégueulasse, qui ne prêtait aucun intérêt à l'arrivé de Mathis et préférait discuter avec l'homme à l'autre bout de la table, se penchant dangereusement sur sa chaise. Cet homme justement, qui l'écoutait à peine, était un homme de quarante ans, assez corpulent, possédant une barbe grise un peu à la Victor Hugo. L'homme, lui par contre, semblait avoir remarqué l'entrée de Mathis et le fixait avec un regard pénétrant qui aurait perturbé même les plus courageux. Mais Mathis n'était pas n'importe qui, et, étant habitué aux grands jurys de Paris, cela ne fit que l'intriguer.

Coup de Théâtre !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant