VI

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     Le lendemain, comme prévu, après un message à l'attention de Jung Kook, je l'attendais devant sa porte. La marche avait fait des siennes et ma cheville droite faillit y passer. Je n'attendis pas longtemps avant que le brun pointe le bout de son nez. Il avait, comme je lui avais fait remarquer hier, coupé ses cheveux, mais ne les avait pas remonté en arrière. Quelques mèches étaient ondulées. J'avais l'impression qu'aujourd'hui allait être une occasion spéciale puisqu'il était très soigneusement habillé. Une chemise bleue nuit rentrée dans son pantalon, noir, et son long manteau noir ainsi que son éternelle écharpe. Il me sourit en voyant que j'avais mis aussi un peu de soin dans ma tenue. Rien de très notable, bien sûr.
     Il passa devant moi en me faisant un léger signe.
     Je reconnaissais vaguement le chemin qu'il avait emprunté ce soir-là, lorsque mon esprit curieux s'était manifesté.
     Nous arrivâmes à l'orée de la forêt, qui entoure la ville dans laquelle j'ai grandi. J'ai toujours eu peur de cette forêt. A chaque fois que je m'y approche, j'ai un sentiment de répulsion qui brûle mes entrailles, et cette fois n'y échappe pas. Alors je m'arrête subitement, et je regarde Jung Kook. Il scrute mon visage, et me tend la main. J'ai une impression de déjà-vu et mon souffle s'échappe de mon corps. Je tremble, et je me rends compte que je n'ai plus peur, c'est un autre sentiment qui fait vibrer mes entrailles. Alors j'attrape sa main, et il me guide en entrelaçant nos doigts.
     Nous marchons en nous enfonçant toujours plus dans cette forêt pleine de mystères. Soudain, alors que j'avais un mauvais pressentiment, je reconnais la route.

     Ne me dites pas que... ?

     Mes craintes semblent être vraies quand j'aperçois un portail rouillé qui devait anciennement être de couleur noire. En l'ouvrant, il produit un son que je qualifierais sans aucun doute d'horrible pour les oreilles, puis nous marchons sur un tapis de feuilles mortes. Cet endroit semble totalement hors du temps. La couleur morte du sol et les arbres épais autour de nous nous enferment dans une bulle de laquelle je ne veux pas m'échapper. C'est un sentiment de plénitude qui m'emplit, et j'ai le souffle coupé.
     Jung Kook se retourne vers moi. Et il sourit. Un sourire vrai, un sourire sincère, éclatant comme je n'en ai jamais vu de sa part. Ses yeux brillent et il me semble à cet instant que lui-même brille, il est éblouissant, comme s'il venait d'une autre dimension. Et mes yeux ne peuvent se détacher de sa personne. Je m'approche de lui. Doucement, et je colle ma tête à sa poitrine en le ceinturant de mes bras. Et il me rend cette étreinte d'une manière chaleureuse. Je n'ai jamais été aussi bien dans ses bras. Puis il brise cette étreinte en m'emmenant plus loin.

     Et là, c'est le choc.

« Je... reconnais. »

     Une vieille maison marquée par le temps. Un bois devenu gris, des vitres intactes cependant, et des haies parfaitement taillées.

« Qui est venu prendre soin d'ici ?
-Moi. En personne. »

     Je le regarde avec incompréhension, et il sourit encore plus.

« Ce serait mentir si je te disais que je ne travaille pas, mais j'ai quelques facilités, voire même de grandes facilités en cours, donc je peux faire autre chose à temps partiel. Je ne travaille pas, comme j'ai pu te le dire, je m'occupe d'ici. Et je vis grâce à la maigre somme que m'apporte ma famille d'accueil, et le gros héritage que m'a laissé ma famille. »

     Il s'avance, songeur, vers la porte d'entrée, et l'ouvre doucement. Je me décide enfin à le suivre après qu'il ait disparu et c'est les étoiles plein les yeux que je découvre un milieu qui m'est totalement connu. Le style vintage de cette maison n'a pas changé. Tout est à sa place. Chaque meuble, chaque photographie, chaque peinture. Les larmes me viennent aux yeux et je retiens un sanglot de justesse en pinçant les lèvres. Mon regard tombe sur un portrait fait par sa propre mère, et là, c'est la goutte de trop. Je tombe lâchement sur mes genoux en pleurant. Sa famille, bien que je ne l'aie vue qu'une seule fois, me manque énormément.
     Petits, je l'ai connu à peine une semaine avant qu'il ne devienne orphelin. Ses parents ne pouvant lui donner de l'amour, je l'ai fais à leur place en échange de quoi il m'aidait en classe –il faut dire que j'étais extrêmement en retard par rapport aux enfants de ma classe et tout était bon pour m'humilier. Mais il était là, et me relevait tout le temps. Nous passions le plus clair de notre temps ici. Personne dans sa famille n'aimait le monde extérieur, et ses deux parents voulaient à tout prix le protéger. Mais à leur mort, ce ne fut plus possible. Alors on vint le chercher pour l'emmener à l'hôpital. Il avait perdu la tête. Un enfant fou, ce n'est pas beau à voir. Et même lorsque nous sommes devenus proches, il lui arrivait parfois de devenir songeur et de perdre l'usage de la parole. Effrayant. C'est le seul mot possible.

aвandonnée | Ardent | jυngĸooĸOù les histoires vivent. Découvrez maintenant