Réalité idyllique

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Jen'ai rien à envier des autres. Je suis une femme magnifique, auxformes généreuses et au visage fin et parfaitement dessiné. Jesuis chirurgienne dans un grand centre hospitalier ce qui me rapportede généreux revenus pour moi et ma famille. J'ai épousé un mariformidable et talentueux et j'ai à ma charge deux adorables enfantsgentils et intelligents.

Jemène une vie de rêve.

Etpour cause, c'estun rêve...


Jem'appelle Eva Krook, je vais bientôt avoir dix-sept ans. Je suisfille unique, lycéenne moyenne et je suis portée disparue depuispresque un mois.


Avantde vous raconter les causes de ma disparition, laissez moi vousexpliquer ce qu'il s'est passé cejour là.




Commetous les mardis matins, j'attendais mon bus. Mon casque vissé surles oreilles, je m'effaçais comme à mon habitude dans cette foulede collégiens et lycéens, répartis par groupe de deux à huitpersonnes.

Commetous les mardis matins, personne ne m'adresse le moindre regard, tropoccupé à sa conversation qui n'a pas changé depuis la rentré.

Commetous les mardis matins, je suis montée dans le bus et me suisinstallée sur l'un des rares sièges libres contre la fenêtre.

Maisce mardi matin a définitivement été le dernier de mes mardismatins habituels...




Lelycée.

Unecorvée pour certain, un foyer pour d'autre.

Comme dans tous les lycées, dès la rentrée, lesclicks se sont formées. Les élèves sont classés par catégoriecontre leur gré ou non et alors se met en place la jungle hostile etsa loi du plus fort. Tandis que certains profitent du statut «populaire », d'autres s'enfoncent un peu plus chaque jour dans leurstatut de « cas social », faisant de ce lieu éducatif un véritableenfer pour eux. Au fond de la cour, dans un coin isolé, on peutdistinguer les grosses vestes en cuirs cloutées et l'air aguerri deces « bad boys » que tout le monde craint. Plus loin, on distingueaussi des clicks en rapport avec les loisirs: des sportifs auxdessinateurs, il y en a pour tous les goûts.

Enfin,isolés dans un coin de cet espace, presque invisibles et solitaires,quelques personnes vagabondent sans réel but. Ils sont comparables àdes fantômes; invisibles aux yeux de tous mais pourtant bienprésents. Ces êtres incolores que personne ne remarque et necherche à connaître; j'étais l'une de ces personnes.

Jen'avais pas de problème d'harcèlement, de rabaissement ou deviolence avec mes camarades. J'étais justeinvisible.



Commetous les mardis soirs, je finissais très tard.

Commetous les mardis soirs, je devais prendre le dernier bus qui passaittrois quarts d'heure après la fin de mon dernier cours.

Commetous les mardis soirs, je faisais un détour par la boulangerie aunord de la ville pour m'acheter quelque chose à manger.

Commetous les mardis soirs je prenais un raccourci.

Maisce mardi soir, quelqu'un d'autre étaitprésent...


Aucunepersonne censée ne prendrait seule ce chemin isolé aussi tard. Moije l'avais toujours fait. Cela voudrait-il dire que je ne suis pasnormale?Peut-être, mais qu'importe. Les seuls êtres vivants que j'avais pucroiser dans les environs n'étaient que des chats errants, à l'affût du moindre geste de ma part. Je m'amusais au fil des semaines àreconnaître les habitués, leurs donnant parfois même des petitsnoms. J'ai été très surprise ce soir là de n'en voir aucunpeupler la ruelle décrépie.

Lepoissonnier du coin a sûrement dû sortir les poubelles,pensais-je.


Sij'avais su...



Jem'avançais silencieusement dans la sinueuse allée, écrasant detemps à autres des morceaux de cartons laissés à l'abandon. Danscet espace, les bruits de la ville semblaient si lointains que l'oncroirait avoir changé de dimension.


Ilétait sûrement déjà trop tard quand j'ai commencé à l'entendre.

Leslampadaires de la ville étaient déjà allumés mais n'éclairaientpas cette surface, assombrie par la tombée de la nuit. Bien que mavision était beaucoup moins étendue, mon ouïe n'en restait pasmoins présente.

Audébut, je pensais à une souris. Il m'était déjà arrivé, enpassant près des caniveaux, d'assister à l'effroyable festin ques'offrait un chat avec un petit rat de la ville. Mais plus jem'approchais, plus ces bruits me faisait penser à desgémissements.

Gênéepar cette situation, j'ai hésité un moment à faire demi-tour quandtout à coup, un bruit, un mot fit frémir mon corpsentier.

«Àl'aide!»

Cesanglot étouffé semblait provenir d'une voix féminine, railléepar les larmes.

Alorsque je campais sur mes positions, retournant encore et encore lasituation dans ma tête, une lumière aveuglante fut projetée versmoi. Par instinct, je me jetais derrière une poubelle massive d'oùémanait une odeurépouvantable.

Lascène qui se déroulait devant moi mepétrifia.
Illuminépar les phares d'une voiture, un jeune homme à l'allure imposanteserrait entre ses mains la tête ensanglantée d'une pauvre jeunefemme qui tentait vainement de se défendre.

Leursgabarits étaient nettement opposés. Lui avait été attribuéd'épaules droites et larges, surplombants des bras dont lamusculature lui donnait une allure imposante. Sur ses cheveuxchâtains en bataille brillaient à la lumière de fines perlesrougeâtres provenant sans nul doute des entailles de la victime. Sonvisage rond faisait place à une mâchoire carrée vêtue de fineslèvres laissant place à de belles dents blanches et bien soignées.Cette bouche des plus harmonieuses contrastait énormément avec sesyeux. Deux billes noires aussi profondes que les abysses, déforméespar un rictus mauvais. Il était vêtu d'un polo simple et sombre etd'un vieux pantalon, idéal pour les travaux du dimanche.

Elle,n'avait pour se défendre que de maigres bras parsemés de petitestâches de rousseurs. Ses cheveux étaient d'un blond décoloréet son visage était semblable à une toile où l'on aurait versé unpot de peinture mate, contrastant avec le reste de sa peau. Elleétait vêtue d'une robe bustier rouge assez classique et d'une paired'escarpin d'on l'un avait été perdu à quelques mètres de là.Elle se débattait et hurlait, étouffée par l'imposante main de sonassaillant.

Lavoiture; dont je ne pouvais prouver la couleur avec certitude àcause du contraste de lumière; s'arrêta à quelques mètres desdeux individus.

Quelqu'unaurait-il vu la scène et serait venu au secours de la jeunefemme?

Qu'ilest beau d'espérer...

Lepremier homme ne semble pas du tout intéressé par la nouvelleprésence, contrairement à la demoiselle qui tente désespérémentl'impossible en faisant de grands gestes en direction del'automobile.

Àpeine le contact fut coupé que la portière avant s'ouvrit, laissantle suspens s'installer. Finalement, un homme avec un gabarie pas moinsimposant que le premier en sortit, un énorme rouleau d'adhésif grisà la main.

Ils'approcha calmement du duo et avec l'aide du premier homme, lapauvre femme se retrouva en quelques minutes ligotée et incapabled'émettre le moindre bruit. Comme s'il transportait un vulgaire sac,le conducteur la prit sur l'une de ses épaules et disparut derrièrela voiture.

Jerestais effarée par cette situation. Je devais réagir! Mais quefaire? Prévenir quelqu'un? Nous étions isolés et je n'avais plusde portable depuis quelques semaines.

Effrayée,je reculais de quelques pas afin de m'enfoncer dans ma cachette,espérant ne pas être repérée. Mais avec toute cette agitationj'avais oublié une chose qui m'a coûté la vie: mon sac de coursattaché à mes épaules, rendant mes faits et gestes bien pluscontraignants.
Cefut d'abord un tintement sourd suivit par un enchaînementassourdissant qui me glaça le sang.

J'avaispercuté avec mon sac un objet rond métallique qui à présentroulait sur le sol. Quoi? Je n'ai pas eu le temps de l'analyser quedes pas lourds et prudents s'approchaient de moi.

Enquelques secondes, la face lugubre et effrayante que je regardais deloin était apparue à quelques centimètres de la mienne. Tremblantecomme une feuille, je n'osais à peine regarder l'individu dans lesyeux, comme s'il pouvait m'abattre d'un simple regard.


Soudain,ses lèvres se déformèrent en un étrange petit sourire amicalecontrastant effroyablement avec ses yeux sombres et persans, etlaissèrent échapper des paroles qui hanteront à jamais mescauchemars:


«Saluttoi.»



   

CreoberosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant