Duel rhétorique

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Le café a plus l'arôme de l'eau que de l'épice. L'air est écrasant et je dois me concentrer pour ne pas tomber dans les pommes, ou encore de retenir mes doigts de pincer mon nez afin d'imposer une barrière à l'odeur nauséabonde flottant dans la maison.

Deux jours ont passé depuis notre entretien au café, Marc a pris un jour de congé en même temps que le miens et nous sommes partis en direction du domicile de Mr Sarque.

Après trois tentatives nous avons enfin réussi à lever l'ours endormi. Mais comme tous les ours que l'on tire d'un sommeil profond, il nous reçu avec une froideur inégalable. C'est vrai qu'il est à peine huit heure du matin, mais je ne suis pas sûre que ce soit une raison suffisante pour nous fermer la porte au nez...

Au final, on a dû expliquer la raison de notre venue derrière la porte, puis la suite lorsqu'il a enfin décidé de la rouvrir. Il sembla assez surpris lorsqu'on lui avoua qu'on était pas venu en tant que flic, et même pire, que nous étions venus dans le dos de nos supérieurs.  Marc me faisait de gros yeux à chaque fois que j'en disais un peu trop mais cela ne m'empêchais pas de continuer. Sans savoir pourquoi,  je savais qu'on pouvait lui faire confiance. C'est finalement avec une moue embêtée qu'il nous laisse entrer, même si je sais pertinemment qu'il a envie d'en savoir plus.

Et c'est comme ça qu'on s'est retrouvés là, au milieu de la bâtisse miteuse et désordonnée, d'où émanent les odeurs putrides auxquelles j'essaie de faire abstraction depuis tout à l'heure.

Après avoir posé sur la table une assiette au contenu douteux, notre hôte s'installe à son tour et se met à nous observer silencieusement.

"Vous êtes ensemble?" Lâcha-t-il finalement.

Je sens une douce chaleur s'étendre sur mon visage, chatouillant le bout de mes oreilles. Voyant ma réaction, il se rattrape aussitôt:

"Je veux dire, sur l'affaire. C'est vous deux qui êtes censés vous en occuper?"

Cette fois-ci c'est toute ma tête qui s'empourpre, me donnant des origines de tomate- que sais-je, d'écrevisse?

Mon collègue répondit à ma place, tout en me regardant de coin, interrogateur:

"Nous et deux autres collègues, mais on ne peut pas dire qu'ils soient très utiles..."

"Je vois."

Je suis du regard la tasse jaunâtre, comme hypnotisée, qui vient se porter jusqu'aux lèvres sèches et abimées de notre hôte qui, bizarrement, la reposa immédiatement sur la table.

"Et qu'est-ce que vous voulez que je fasse?" reprit-il.

"Nous sommes venus jusqu'ici pour solliciter votre aide." Enchainais-je maladroitement.

"Mon aide?"

"Exactement, bien que je commence à revenir sur ma décision..." A ses mots Marc me jeta un regard furtif, comme s'il s'adressait plus à moi qu'au quinquagénaire.

"S'il vous plait, on aimerait vous poser quelques questions!" Mon ton est presque suppliant, mais je suis tellement désespérée que je pourrais faire n'importe quoi. L'homme, après un moment d'hésitation, lâche un long soupir et après s'être calé confortablement dans son fauteuil, il me fait comprendre qu'il est à mon écoute.

"Êtes- vous sûr que vous ne l'avez jamais vu?"

"Qui? La gamine qui a disparu? Ce foutu taudis n'a pas connu la présence d'une femme depuis une dizaine d'année!"

"Nous parlons d'une lycéenne portée disparue depuis maintenant presque deux mois, alors votre humour on va pouvoir s'en passer." rétorqua Marc d'un ton froid et franc.

"Oh la, jeune homme! Calmez-vous! Il ne faut pas stresser autant, pé-"

"Alors comment expliquez-vous que l'adresse inscrite sur son dossier est la votre?" Le coupais-je avant que ça ne parte plus loin.

"Je vous l'ai déjà dit, j'en n'ai aucune idée."

"Vous devriez savoir, en tant qu'ancien agent de police, que toute chose que vous nous cachez concernant l'enquête pourrait être retournée contre vous en justice."

Décidément, Marc se méfit vraiment de lui...

"Et vous vous n'êtes pas sans savoir, monsieur le policier, que rentrer de force chez quelqu'un sans raison valable est un délit."

Je n'assiste plus à un interrogatoire, mais à un duel sans merci entre deux cow-boys du fart ouest, la victoire à celui qui réussira à avoir le dernier mot.

Alors que les deux hommes se battent à coup de mots, je sors le carnet où j'avais la veille retranscrit méticuleusement toute l'avancée de l'enquête. Pour la dixième fois, je parcoure ses pages à la recherche d'un détail oublié, en vain.

Je suis plongée dans mes pensées lorsque une forme floue vient s'agiter devant mes yeux. Marc passe sa main devant mon visage, comme pour dissiper le brouillard qui m'entoure. Lorsque je lève la tête, je remarque que tous les deux me regardent, la même lueur interrogatrice dans les yeux.

"Quoi?" fût la seule réponse que je réussis à sortir.

C'est alors que je sentis le sol se décoller de mes pieds. Ma vue se brouilla. La dernière chose que j'entendis avant que ma tête rencontre violemment le sol est la voix à la fois proche et lointaine de Marc, se précipitant vers moi pour me rattraper.

CreoberosOù les histoires vivent. Découvrez maintenant