Une semaine est passée depuis "l'incident". Je n'avais finalement pas réussi à éplucher ne serait-ce qu'un quart des pommes de terre. Était-ce à cause de la douleur physique? A cause de ce sentiment de vulnérabilité, cette part de moi qui se sentait trahie?
Au final Samuel, s'étant calmé, m'a amené dans une salle de bain à côté et, comme si rien ne s'était passé, a commencé à soigner mes plais tout en m'adressant de petits sourires de temps en temps...
J'en avais déjà entendu parler, de ces symptômes, bien que je ne me souvienne plus du terme exacte. Les personnes souffrant de cette maladie changent d'humeur en quelques secondes, poussant toujours leur joie, leur colère, leur tristesse à des exagérations qui peuvent parfois être dangereuses. Samuel souffrait-il de ce mal étrange?
Pendant deux jours, voyant que mon état ne s'améliorait pas, il m'a laissé me reposer, me laissant alors seule dans cette pièce humide toute la journée. Lorsque, le troisième jour je l'ai supplié pour me laisser sortir, il sembla surpris puis me ria au nez comme si je venais de sortir la plus stupide des plaisanteries. Mais voyant mon insistance, il m'a finalement permis de retourner à la surface, bien que mes plais n'avaient pas encore correctement cicatrisé.
Mais malgré la douleur, je persévérais. Peut-être qu'une part au fond de moi voulait lui faire comprendre que je ne voulais plus retourner dans cette cave humide où il fait si froid la nuit...
Aujourd'hui nous sommes dimanche. Je le sais car, en passant devant la télévision, à gauche de l'écran où était diffusé le journal télévisé, il y avait une sorte de page de calendrier. Cet insignifiant amas de pixel auquel presque personne ne faisait attention était devenu en quelques jours pour moi une source d'information cruciale.
Je m'installe à ma place habituelle, prête à m'occuper du tas de vaisselle sale laissé à l'abandon dans l'évier. Mon genou me fait atrocement mal, me forçant à penser et à réaliser le moindre geste avec le plus de délicatesse possible. Malgré les crèmes et les anti-inflammatoires, l'hématome semble grossir de jour en jour, accompagné de la douleur de moins en moins supportable. Mais je ne dis rien, je m'efforce d'agir normalement ou presque, car il est hors de question que je reste une seconde de plus dans cet endroit humide qui me fait office de cage. Alors j'inspire, je sers les dents, et je tourne le robinet pour laisser couler l'eau, tentant d'oublier.
A l'instar, tout autour de moi semble avoir oublié ce qu'il s'est passé. Tout est en ordre, le sang sur le sol a disparu, et tout a été remis à sa place. Je reprend alors ma routine, ignorant la douleur et les courbatures qui envahissent mes bras, seules vestiges du spectacle macabre qui s'est déroulé il y a quelque jours. Mais un détail vient entraver ce rituel retrouvé. Je sens le regard pesant de Samuel- ou plutôt Sam- assis à la table derrière moi. Je tente un bref coup d'œil par dessus mon épaule, et constate qu'il me fixe intensément, là, sans bouger. Mon cœur semble rater un battement et je me retourne vivement vers l'évier. Une peur inexpliquée m'envahie. Mes mains tremblent. Était-ce une bonne idée de revenir ici? N'aurais-je pas mieux fait de me faire oublier?
Les scènes de la fois dernière me reviennent comme des flash. Je revois son air bestial, inhumain, rongé de colère. Je revois ses poings lâchés encore et encore sur moi. Va-t-il recommencer? Je peine à garder la vaisselle dans les mains tant celles-ci tremblent. Attend-t-il le moindre faux pas de ma part pour recommencer? Après tout, tout ça ne semble être qu'un jeu pour lui. Il est le chat et je suis la souris.
Soudain, l'inévitable se produisit. Une stupeur. Un fracas. Une vague de panique. Puis un silence aussi pesant que la mort. Je regarde les morceaux de l'assiette qui vient de me glisser des mains se recouvrirent d'eau au fond de l'évier. Game over.
Je sursaute au son du grincement de la chaise sur le sol. Je tente maladroitement de récupérer les morceaux, tout en écoutant ses pas lourds se rapprocher de moi. Si ça recommence, je ne survivrai pas. Mes mains sont prisent de violentes secousses à mesure que l'individu se rapproche de moi. Je pourrais peut-être recoller ça avec de la colle? Mais ça laissera des traces, l'assiette est foutue. Moi aussi je suis foutue.
Sa main lourde s'écrasa sur mon épaule. Par instinct, je ferme les yeux, rêvant de disparaître. Ma gorge se sert tellement qu'elle m'empêche de respirer. Je ne peux rien dire, je ne peux pas me justifier ni même m'excuser. C'est peut-être mieux dans un sens, qui sait comment je pourrais encore aggraver la situation.
Le morceau de vaisselle glissé entre mes doigts s'envola. La main accrochée à mon épaule, elle, est toujours là mais se dessert peu à peu. J'entend Samuel ramasser de son autre main libre les débris et les poser sur le plan de travail à côté. Pourtant je n'ose toujours pas rouvrir les yeux.
Quelques secondes passent, je devine par le silence qui règne que tous les morceaux ont été ramassé. Néanmoins, l'objet de ma tourmente ne dit rien, restant là, à côté de moi sans bouger.
Il attend que j'ouvre les yeux pour me prendre par surprise.
Quelques secondes s'écoulent encore, mais toujours rien. Seul le bruit de l'eau peuple la pièce. Je commence à me sentir ridicule, la curiosité prenant peu à peu le dessus. De toute façon, je ne pourrai pas rester comme ça indéfiniment. Mais alors que je me persuade de lever le voile qui faisait jusque là obstacle à ma vue, sa voix vint casser ce silence:
"Fais attention la prochaine fois. Tu pourrais te blesser."
Puis l'emprise sur mon épaule se détacha, les pas s'éloignèrent, et l'atmosphère devint plus respirable. Bordel, je l'ai échappé bel.
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Creoberos
HorrorJe m'appelle Eva Krook. Lycéenne, fille unique et à l'apparence normale. Vous vous apprêtez sûrement à ce que je vous conte l'une de ces histoires à l'eau de rose, sur la relation entre une fille rebelle et mignonne et un badboy. Mais les contes de...