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Chapitre 4

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Athènes, 389 av. J.-C.
15ème jourdu mois d'Elaphébolion (Mars)

Viens. Ne crains rien, tu es à moi maintenant.

Lyssipée ne put empêcher, à ces mots, un mélange aigre-doux de soulagement et de crainte se créer en elle. Elle crut se perdre un instant dans ses yeux bleus, mais se reprit bien vite et acquiesça à celui qui était désormais son maître avant de le suivre dans la foule.

Les têtes se retournaient à leur passage, signe d'un grand étonnement dans l'assemblée.

Parîs semblait avancer sans s'en préoccuper. Il ne jetait pas un coup d'œil derrière lui pour vérifier que Lys le suivait. Normal, pensa-t-elle. Il ne penserait jamais qu'elle puisse ne pas le suivre.

D'un autre côté, elle n'en ressentait pas le besoin, elle espérait au fond d'elle avoir atterri dans un bon ménage. Loin des travaux insupportables que faisaient subir certains citoyens à leurs esclaves. Pour l'instant, elle n'avait pas d'autres choix que de le suivre. La fuite était inenvisageable dans cette société méconnue.

Parîs se mit à parler.

— Tu seras une esclave de maison, mais ne t'attends pas à un trop bon traitement. Tu restes le bien de ma famille, lui confia-t-il.

Ces mots n'auraient peut-être pas dû serrer le cœur de Lys, pourtant c'est ce qu'il se passa. Elle se mordit la lèvre de regret, qu'espérait-elle ? Il lui fallait tout de suite se reprendre.

Il n'attendit aucune réponse de sa part et continua.

— Je vais d'abord te conduire à notre maison pour procéder à la cérémonie, dit-il.

Cette cérémonie dont il parlait, Lys ne la connaissait pas. En effet, elle avait beau vivre aussi proche de cette immense citée, elle n'en connaissait que très peu le fonctionnement. Elle avait toujours vécu dans sa meute de loups-garous et maintenant elle regrettait presque de les avoir quittés. Quelle idée stupide elle avait eu ! Oui, peut-être qu'ils pouvaient devenir des monstres s'ils cédaient à leurs pulsions, mais ils l'avaient toujours accueilli avec chaleur et bienveillance. C'était grâce à eux qu'elle était en vie. Maintenant elle se retrouvait esclave d'un citoyen athénien, mordue au bras. Et elle craignait les répercussions futures de cette blessure.

Lors de son enfance, entourée des explications savantes d'Horace, elle avait appris énormément sur la race des loups-garous. Notamment le fait que la malédiction se transmettait par hérédité... ou bien par une morsure profonde. Et d'après ce qu'elle avait pu, en ressentir la sienne était plutôt grave. Elle s'inquiétait des issues qu'elle pouvait prendre. Et si elle se changeait en loup-garou elle aussi ?

Non ! Elle ne voulait pas l'imaginer, jamais elle ne pourrait supporter de devoir vivre avec ce fardeau. Elle s'imaginait déjà là, cédant à des pulsions trop fortes, détruisant tous ceux qui avaient le malheur de croiser son chemin, devenue une bête cruelle et sanguinaire. Un frisson lui parcourut l'échine à cette pensée qu'elle préféra chasser d'un mouvement de la main.

Elle veilla à bien se concentrer sur le chemin qu'ils empruntaient, elle aurait sûrement à le parcourir encore des dizaines et des dizaines de fois. Elle eut envie de soupirer pour se complaindre de son malheur, mais elle s'en empêcha. Elle était esclave maintenant ? Et alors ? Elle aurait une vie difficile ? Que nenni ! Elle se débrouillerait ! Si elle avait pu vivre jusqu'alors avec une meute de loups-garous en pleine nature, elle pourrait bien se débrouiller avec un maître sur le dos ! Quoique cette histoire de transmission de la malédiction l'inquiétait un peu... Mais tant pis elle y réfléchirait le moment venu. Pour l'instant, elle avait mieux à faire.

Elle suivit à une allure soutenue les pas de son prochain maître. Ils parcouraient des dédales de chemins tous aussi semblables les uns que les autres et dans son esprit, la carte qu'elle avait entamée se brouillait de plus en plus. Mon Dieu ! Mais elle serait bien vite perdue ici si elle n'arrivait pas à repérer la route qui conduisait jusqu'à la demeure de son maître !

Elle se concentra davantage, en élève assidue, et parvint non sans mal à trouver quelques repères. Par ici, une bâtisse à deux étages splendides, par-là, une statue du dieu Dyonisos particulièrement bien détaillée.

Elle admirait avec émerveillement les splendeurs de la cité. Jamais de sa vie elle n'avait vu tant de belles choses. Dans son village au pied du mont Hymette, seules de simples maisons en pierre d'une pièce abritaient les habitants. Ici tout semblait si grand ! Lyssipée témoignait un tel engouement pour le paysage citadin que Parîs dû la rappeler à l'ordre. Étrangement, il ne semblait pas du tout en colère par son attitude distraite bien au contraire.

— Je vois que la cité te plaît. N'étais-tu donc jamais venue en ville ? demanda-t-il, une lueur d'amusement dans le regard.

Lys se stoppa dans sa contemplation et failli lui rentrer dedans alors qu'il l'attendait. Elle paraissait surprise de cet intérêt qu'il lui portait, à elle, une esclave, et ne savait que dire.

— Hum... Eh bien..., bredouilla-t-elle.

Parîs parut s'amuser de son étonnement. Il rit presque, montrant une légère fossette sur le coin gauche de ses lèvres. Elle trouva son sourire absolument charmant et ne put empêcher son cœur de battre plus vite l'espace d'une seconde. Il parlait d'une voix teintée de compassion et de tendresse. Lyssipée n'aurait su dire si elles étaient feintes ou non, mais elle préféra ne pas s'y attarder et, s'éclaircissant faiblement la gorge, elle reprit.

— Non... je ne suis jamais venue en ville avant.

Le sourire de Parîs faiblit avant de reprendre de son éclat et il répondit d'une voix neutre.

— Il te faudra apprendre à te repérer dans ce cas. Demande-moi si tu as besoin d'aide, bien que notre intendant soit aussi là pour ça.

Et même avec un ton moins sympathique, Lys ne put s'empêcher de trouver l'attention de son nouveau maître forte gentille bien qu'inattendue. Elle lui sourit franchement et le remercia poliment.

Parîs sembla satisfait et reprit sa route sans un mot, laissant une Lyssipée guillerette le suivre. Après tout, sa situation aurait encore pu être bien pire.

Ils parcoururent encore une longue route sablonneuse avant de s'arrêter devant une incroyable demeure.

En la voyant, Lys ne put s'empêcher d'ouvrir largement les yeux. Elle n'avait jamais vu de maisons aussi splendides ! Enfin peut-être que si... celles qu'elle avait aperçues sur le trajet.

Devant eux se présentait une grande cour pavée au centre de laquelle trônait un bassin rempli d'eau. Le soleil s'y reflétait, faisant miroiter la lumière sur les colonnes de pierre qui soutenaient la bâtisse. Un préau entourait la cour en un carré parfait. Les façades de pierres se montraient propres, nettes et solides, Lys fut tout de suite sous le charme des lieux.

Tandis qu'elle suivait machinalement Parîs jusqu'au centre de la cour, elle observa les lieux avec des yeux avides de détails. Quand Parîs s'arrêta et commença à parler, elle crut tout d'abord que c'était à elle puis elle se rendit compte avec surprise qu'un jeune homme était présent en face de son maître.

— Alexandre, j'ai notre nouvelle esclave, commença-t-il.

Le Alexandre en question tourna la tête vers Lyssipée en l'étudiant, sans laisser paraître aucune de ses émotions. Parîs posa une main sur l'épaule du garçon et le regarda dans les yeux afin de capter toute son attention.

— Je te la confie, dit-il en haussant les sourcils. Emmène-la et prépare-la pour la cérémonie.

Alexandre hocha impassiblement la tête et fit signe à Lys de le suivre. Dans un dernier regard à son nouveau maître, elle partit avec Alexandre dans un lieu inconnu.

Lyssipée brûlait de savoir quelle était cette cérémonie, mais surtout elle s'inquiétait de ce qu'elle aurait à faire, car si elle savait une chose sur la vie en citée c'était que celle des esclaves n'était pas tendre alors pourquoi ne pas commencer tout de suite le labeur ?

Esclave de sa NatureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant