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Chapitre 1

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Mont Hymette, 389 av. J.-C.
14èmejour du mois d'Elaphébolion (Mars)

Lyssipée ouvrit les yeux et regarda à droite, puis à gauche. Les deux billes vertes traversèrent la pièce avant de se déposer sur l'homme qui se tenait dans l'entre-brasure. Athos sourit tendrement à sa sœur adoptive.

— Salut petite sœur.

Lys sourit à son tour en s'étirant.

— Salut. Qu'est-ce que tu fais là ? demanda-t-elle, intriguée.

Il arqua un sourcil et avança lentement vers elle, tel un prédateur guettant sa proie. En réalité, il en était plus proche que ce que l'on pourrait croire, pensa Lyssipée.

— Ce que je fais là ? Tu ne sais pas quel jour on est aujourd'hui ?

Il était arrivé jusqu'à la paillasse qui servait de lit à Lyssipée et s'y assit sans la lâcher du regard.

Elle continuait de réfléchir. Mais malgré ses efforts elle n'arrivait pas à trouver de réponse. Elle ne se souvenait pas que ce fut un jour de fête ou de réunion.

— Toujours pas ? demanda Athos. Même pas si je te dis qu'on est le quatorzième jour du mois ? Et qu'il y a exactement 17 ans que tu vis avec nous ?

À ces mots, un large sourire fendit les lèvres fines de Lys et elle se mit à rire. Elle était d'une nature généreuse. Elle aimait prendre plaisir à chaque moment qui lui était donné et voir le meilleur côté des choses. Elle était certes un peu naïve parfois, mais elle savait tout de même faire preuve de discernement lorsqu'il le fallait. Et aujourd'hui elle était heureuse qu'Athos se soit souvenu pour elle de son jour de naissance.

Il sourit quand il l'entendit rire.

— Joyeux anniversaire Lys !

— Merci ! s'écria-t-elle en le prenant dans ses bras.

Ainsi elle commença une belle journée. Après la visite de son frère, elle alla se laver le visage et enfila une chaude toge qu'elle resserra à la taille par une corde de lin. Elle attacha ses longs cheveux noirs en une tresse qu'elle ramena sur sa tête pour former la couronne dont elle avait pris l'habitude. Puis elle descendit les quelques marches de pierre qui séparaient la porte de chez elle de la voie de passage et rejoignit la maison d'Horace, le chef du clan.

Elle vivait depuis sa naissance avec cette meute de loups-garous aux pouvoirs aussi effrayants que fascinants. Ces bêtes mi-hommes mi-loups pouvaient paraître innofensives à première vue, mais dès qu'on les voyait dans leur ensemble, elles devenaient vite terrifiantes. En effet, leur malédiction était terrible. Ils devaient constamment rester concentrer pour se retenir de se transformer. La nature, en échange d'une résistance et d'une force décuplée, les avait condamnés à être esclaves de leur condition. S'ils succombaient à la tentation de se transformer entièrement, ils ne contrôlaient plus rien. Et c'était à ce moment-là qu'ils devenaient réellement dangereux. Ils ne reconnaissaient plus ni amis ni ennemis, ils se contentaient d'attaquer tout ce qui bougeait. Heureusement, cela n'était arrivé qu'une seule fois à la connaissance de Lyssipée et c'était il y avait fort longtemps.

Elle entra dans la demeure et salua d'une courbette le propriétaire des lieux. Horace hocha poliment la tête vers elle avant de l'inviter à entrer.

— Viens Lyssipée, que je te vois de plus près.

Elle s'avança jusqu'à lui et le regarda sans un mot.

— Oui, dit-il pour lui-même. Tu as bien grandi depuis que nous t'avons recueillie.

Lys sourit montrant ses pommettes saillantes.

Horace leva la main pour caresser sa joue d'un amour paternel.

— Bien, maintenant va, mon enfant. Rejoins les autres dans la clairière, ils s'y amusent sûrement.

Lys n'osa pas dire qu'elle préférait rester avec lui pour ne pas avoir froid dehors. Alors elle partit et rejoignit ses amis dans la clairière.

Eux ne craignaient pas le froid de fin d'hiver, étant des loups-garous, leur température corporelle était bien supérieure à celle des simples humains. Mais elle n'aimait pas se faire remarquer ou se plaindre d'un rien. Elle était une fille forte et capable d'encaisser. Et mieux valait pour elle, car sinon grandir entourée de loups-garous capables de la déchiqueter à tout moment aurait été une enfance plutôt traumatisante. Elle avança dans la clairière qui marquait la limite du territoire d'Horace.

Quand en posant le pied dans l'herbe elle fit craquer une fine brindille, toutes les têtes se tournèrent vers elle. Elle put y reconnaître ses amis : Copreus, Démophon ou encore Clio. Leurs visages affichaient un mélange d'angoisse, d'effarement et de stupeur. Quand Lyssipée le comprit, elle s'arrêta net. Elle les regarda tour à tour en les interrogeant du regard, ses yeux grands ouverts, ses sourcils froncés. Un nœud d'angoisse se créa dans son estomac, jamais elle n'avait vu des loups-garous avoir peur. Personne ne bougeait, personne ne parlait. Il n'y avait dans la clairière que le souffle du vent pour troubler le silence inquiétant des lieux.

Soudain, un terrible hurlement fit trembler Lyssipée. Un loup. Et ce loup-garou s'était entièrement transformé !

Sa bouche s'ouvrit en un parfait « o » d'horreur, quand elle aperçut pour la première fois la bête elle crut défaillir. Elle faisait deux fois sa taille et possédait une carrure de monstre. Ses crocs abominables dépassaient de sa gueule tandis que de la bave,signe d'enragement, s'en écoulait lentement. Le monstre ne semblait pas encore l'avoir remarquée et elle se demanda ce qu'elle pouvait faire pour sauver sa vie.

Elle ne s'inquiétait pas pour ses amis — oh non ! — ils survivraient aux coups de la bête, mais elle, pauvre humaine, ne pourrait s'y soustraire. Elle regarda Clio, son amie, qui ne semblait pas savoir quoi lui dire. La tension était palpable et l'atmosphère devenait étouffante.

Lys allait esquisser un geste quand Copreus la doubla. Il commença à gesticuler dans tous les sens pour attirer l'attention de la bête et cria son nom : « Icare ! ».

Le cœur de Lys fit un bond. Icare. Son Icare, un garçon aussi doux que gentil. Son ami. Comment avait-il pu devenir ainsi ? Il s'était changé en un monstre sanguinaire.

Copreus arriva à ses fins quand Icare tourna la tête vers lui engrognant. À ce moment-là, Clio tourna vivement la tête vers Lys et lui intima, paniquée, de se sauver.

Elle ne bougea pas durant quelques secondes, était-ce vraiment juste de les laisser seuls face à cette bête sous pression ? En même temps que pouvait-elle bien faire ?

N'y tenant plus, elle fit quelques pas hésitants en arrière avant de se retourner complètement et de se mettre à courir en direction du village. Derrière elle, le rugissement féroce du monstre retentit et elle fut effarée d'entendre des pas cadencés la suivre.

Elle comprit instantanément que c'était son ancien ami qui voulait maintenant la tuer. Elle accéléra autant qu'elle le put, sautant par-dessus des rochers, esquivant des arbres.

Sa terreur s'atténua légèrement lorsqu'elle entendit d'autres pas, plus légers, participer à la course poursuite.

Icare serait bientôt là et elle ne pouvait rien y faire.

Esclave de sa NatureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant