19. Molly

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Abigaëlle Commana, même si je ne la connais pas vraiment, est à présent, une personne chère à mon cœur. Elle a réussi en un entretien de deux heures, ce dont j'échoue depuis deux ans. John, jusque-là réfractaire à toutes thérapies d'aide aux personnes victimes de la perte d'un être cher, vient de déposer son lourd fardeau dans le bureau de cette psychologue. Lors du récit qu'il me fait de cet échange, ses yeux brillent de vie. Je le regarde, le sourire aux lèvres, enchantée par son entrain. La méthode de cette professionnelle peut paraître étrange, mais devant la renaissance de mon frère, je ne peux qu'y adhérer.

Elle lui a demandé de fermer les yeux, d'imaginer la présence de Rose sur la chaise vide à ses côtés et de la laisser s'exprimer à travers lui. John, dans un premier temps étonné par cette étrange demande, finit par s'immerger totalement dans la mise en scène au point de sentir la présence de sa bien-aimée. Il m'explique le trouble qu'il a ressenti lorsqu'une douce chaleur a pris possession de son corps. Un dialogue mental s'est alors installé entre Rose et lui, sous les questions guidées de Madame Commana. Rose, par ses mots, lui a demandé de sécher ses larmes, de ranger leur idylle dans un petit coffre au fond de son cœur et d'enfin prendre son envol vers la vie.

Il me conte cet entretien, des étoiles plein les yeux, comme s'il avait réellement conversé avec Rose. Je ne sais ce qu'il s'est vraiment passé lors de son introspection, mais une chose est sûre, ses maux ont laissé place à une promesse de bel avenir.

Parfois, la douleur est tellement ancrée en nous, que seule notre force mentale peut nous libérer de ses griffes. La psychologue lui a de toute évidence, permit d'ouvrir une porte de secours afin de s'autoriser à continuer de vivre sans sa moitié.

Nous finissons d'avaler notre thé en savourant ce simple moment de bonheur. Lui, moi et nos sourires. Tout semble parfait. Tout, sauf qu'au fond de moi, je détiens la clé qui ouvre la réponse à la question que John se pose depuis le départ de Rose. J'envisage une fraction de seconde de lui révéler mon rôle dans sa disparition, mais devant son air serein, je me ravise. Qu'il profite de ce bien-être, un jour viendra où je lui dévoilerai la face sombre de sa sœur.

***

Avant même de déposer mes vêtements sur le portemanteau, je scrute le bureau des architectes. Je soupire en découvrant la place vide de mon favori. Par contre, Steeve est de retour. Il bombe le torse, fier comme un coq devant ses collègues aux traits tirés.

Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas hurler ma rage. Comment un homme peut-il être aussi exécrable ? Quels événements de la vie peuvent noircir à ce point une âme ?

Incapable de tenir en place, j'échafaude un plan afin de me retrouver dans leur lieu de travail et ainsi pouvoir les sonder. Je prépare un plateau, y dépose trois cafés, des petits biscuits à la cannelle et les livre. Ils sont surpris de me voir si serviable.

- Bonjour ! Lancé-je pleine d'entrain.

- Salut ma belle ! Dit Steeve en pointant son regard entre mes seins. Dis donc ! Un génie a exaucé un de tes vœux pendant la nuit ou quoi ? T'es super-bien balancée finalement.

Ce porc fait allusion à mon nouveau style vestimentaire. En effet, j'ai délaissé mes habits d'épouvantail pour réintégrer le style qui me correspondait avant mon besoin de me rendre invisible aux yeux des hommes. Plutôt classe et très féminine. D'ailleurs, mes pieds, auparavant bien à l'aise dans de grosses chaussures plates, peinent à se réhabituer à mes escarpins aux talons hauts. Je sens poindre une ampoule au bout de mon gros orteil et mes jambes tendent à trembler sur la finesse de mes talons.

- Bonjour Molly et merci, dirent en chœur Lili et Élias.

- Tu es ravissante, rajoute la jolie blonde, sincère.

Je réponds par un grand sourire. Ce genre de compliment me manquait.

- Alaric est en repos aujourd'hui ? Feinté-je pour glaner des informations.

- Pas vraiment, se confie Élias. Disons plutôt qu'un connard l'a poussé à démissionner.

J'entrouvre la bouche afin de les pousser à se confier, seulement Steeve me devance.

- Le connard, c'est moi ! Mais, ne devrait-on pas citer l'autre personne qui s'est alliée à moi pour dégager ce prétentieux de merde ?

Nous y voilà ! Mes yeux jouent un match de tennis entre le visage de Lili et celui d'Élias. Des indices vont forcément perler à travers les mimiques de leur faciès. La réponse n'est pas très longue à me parvenir.

Lili baisse le regard, pâlie et semble en apnée.

Ce serait donc elle qui a trahi son ami, mais pourquoi bon sang ? Elle n'est plus amoureuse de lui et file le parfait amour avec Élias.

Mon explication en poche, je ne m'attarde pas dans ce bureau où le regard de Steeve à présent sur ma bouche recouverte de gloss, me dégoûte.

Lili... Que cache cette histoire ?

J'échafaude des tas d'hypothèses, plus farfelues les unes que les autres, quand je m'aperçois qu'il est presque dix-sept heures et que mes dossiers n'ont pas avancé d'un iota. Tonton Jean va finir par me remonter les bretelles, tant je néglige ma tâche professionnelle en ce moment.

Vite, je saisis mes affaires au vol et me rue vers ma voiture. À mi-chemin, j'entends le crissement de graviers derrière mon dos. Instinctivement, je me retourne et tombe nez à nez avec Steeve. Le sourire carnassier qu'il affiche fièrement sur son visage me met mal à l'aise.

- J'ai oublié quelque chose ? Bredouillé-je en reculant d'un pas.

Lui, parcours deux enjambées vers moi, si bien que je peux sentir la chaleur de son haleine. Un instant primaire de survie se réveille en moi et je pose mes mains à plat sur son torse pour lui intimer de prendre ses distances.

- Doucement ma belle, pas ici quand même. Impatiente, je te préfère ainsi. C'est incroyable que je n'ai jamais décelé la belle femme qui nichait en toi.

Les doigts toujours en contact avec sa chemise, j'ai peur.

- Détends-toi ma gazelle, je ne te veux que du bien ! D'ailleurs, en parlant de plaisir, sens comme ma machine à orgasmes est en tension, dit-il de façon bestiale, tout en saisissant ma taille et en me plaquant contre lui.

Je me débats, crie et frappe mes poings contre sa poitrine. Sa réaction me glace encore plus le sang. Il écarte les bras en croix, ricane comme une hyène et d'une voix venue d'outre tombe lâche « vole petit oiseau, vole ! Tant que ta cage est ouverte ! ».

Cet homme est complètement cinglé et éventuellement dangereux même. Je triture dans mon sac, les mains tremblantes, pour saisir les clés de mon véhicule, quand, ma cheville se tord et que je m'étale de tout mon long sur les cailloux. À ce moment-là, je ne sens pas la douleur, seule la peur que Steeve me touche accapare mon attention. Je tourne rapidement la tête dans sa direction et lorsque je constate qu'il n'est plus là, je fonds en larmes.

- Ça va aller ? M'interroge Lili, la main tendue vers moi.

Je ne l'ai pas entendue venir. J'accepte volontiers son aide, hoche la tête pour lui signifier que je vais bien, enfin, autant que l'on puisse bien aller après une telle sortie de boulot.

- Steeve t'a fait quelque chose ? Tu peux te confier à moi, tu sais.

L'angoisse se lit dans ses mots. Seulement, je préfère me taire, car je ne sais dans quel camp elle se trouve.

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Coucou :)

Chapitre mouvementé, n'est-ce pas ?

Gros bisous ♥

Culpabilité (tous droits réservés) Terminé Où les histoires vivent. Découvrez maintenant