Neuvième séance

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- Bonjour TaeHyung.
- Salut.
- Comment allez-vous?
- Bien… c'est bizarre.
- Qu'est ce qui est bizarre?
- Il n'y a rien dont j'ai envie de me plaindre aujourd’hui.

TaeHyung soupire. Le cabinet semble comme inondé d'une lumière qui fait briller plus fort l'éclat de bienveillance dans ces prunelles qu'il commence à connaître par cœur.

- J'aimerais prendre des rendez-vous plus souvent.
- Cela serait contre productif.
- Je sais… je ne veux pas prendre de rendez-vous pour me soigner, je veux prendre des rendez- vous pour parler avec vous.
- Quelle est la différence selon vous?
- Il n'y en a pas.
- Vraiment?
- Si parler avec vous m’aide alors oui.
- …
- Je ne suis pas le premier n'est-ce-pas?
- Qu'est ce que vous entendez par là?
- Vous n'imaginez pas à quel point vous êtes différent de tous les autres psy… spécial. Unique. Moi je ne suis qu'un patient parmi d'autres. Pour vous je ne dois qu’être « le jeune homme du jeudi soir ».
- Et bien en réalité, non.
- … quoi?
- Je ne prend qu'un patient à la fois.
- Je… je ne comprends pas.
- Je ne cumule pas les patients. Vous êtes le seul que je vois en ce moment.
- Mais pourquoi?? Personne d'autre ne vous a sollicité?
- Oh si bien sûr. Mais les gens savent qu'il est très difficile d'obtenir des rendez-vous avec moi.
- Mais pourquoi? Dites moi pourquoi!

TaeHyung retient sa respiration, les prunelles rieuses le transpercent et semblent lire son inconscient.

- Je m'adapte à chacun de mes patients. Chaque relation que j'entretiens avec eux est différente. Mais surtout il est important pour moi-même que je vive cette relation de la même manière qu'eux.
- Vous voulez dire que…
- Oui, en dehors de vos séances j'exerce des menus travaux, je passe du temps avec mes nièces, je dors, je lis, je cuisine. Si je devais adopter une formulation choc je dirais que je mets ma vie en pause entre chaque jeudi soir.

Le patient ouvre de grands yeux. Son équilibre vacille, il se tient à l'accoudoir du fauteuil.

- Vous pensez que, moi aussi ma vie s'arrête entre chaque jeudi soir?
- Je ne pense pas. J'observe et j'imite.
- Moi qui pensais que nous entretenions un lien unique et différent de celui que vous aviez avec les autres...
- C'est le cas.
- Non! Si vous imitez chacun de vos patient alors il n'y a pas de privilège.
- Je n'ai pas dis que j'imitais chacun de mes patients.
- Alors que faites vous avec eux?
- Je vous l'ai dit, chaque relation est unique.
- Si tout est unique alors il n'y a pas de banalité à laquelle être supérieure.

Les paupières se ferment un instant, TaeHyung attend la réponse avec une angoisse sourde mais inexplicable qui lui broie les entrailles.

- Écoutez TaeHyung. Je ne fais pas de hiérarchie dans les relations humaines, mais seulement dans l’affection que je ressens envers les autres.
- Je ne comprends pas trop.
- Je n'ai pas d'ennemis. Je ne déteste ni ne hais personne. J'aime seulement, et avec des degrés variables.
- Vous êtes inconscient. Les gens comme vous ne survivent pas dans un monde semblable au notre.
- …
- Et ma place. Dans votre espèce de hiérarchie affective. Où est-elle?

Les paupières papillonnent et TaeHyung sait qu’il aura la réponse. Cette fois il l'aura. Enfin…

- Il n'y a pas de place pour vous dans ma hiérarchie affective.

Ses épaules sursautent, le monde s'assombrit subitement et TaeHyung serre le tissus de son pantalon si fort que les jointures de ses poings blanchissent.  Sa voix s'élève plus forte qu’il ne l'aurait voulu.

- Quoi… pas de place pour moi?
- Ne vouliez vous pas être unique?
- Non je… je... je ne voulais…

Il déglutit en voyant les pupilles se recouvrir d'un voile de colère soudain. La voix patiente devient dure et sèche, le frappe de plein fouet.

- Vous êtes un enfant TaeHyung. Capricieux, exigeant, dépassé par le monde réel et par les préoccupations des adultes autour de vous. Vous aimeriez jouer. Mais les autres vous trouvent puéril. Vous avez grandi sans compagnie adaptée à votre âge et vous aviez désespérément besoin de justifier ce manque. Vous êtes unique vous l'avez toujours pensé. Voilà pourquoi votre changement de sexe, voilà pourquoi votre prise de drogue, voilà pourquoi avoir décidé de prendre des rendez-vous chez moi.
- Je…
- Vous êtes impatient, indécis, volatile et torturé par votre propre conscience qui fait de vous le jouet de ses exigences immatures. Perdu dans un monde trop grand pour vous, dont les règles vous échappent, alors vous les contournez et vous vous construisez votre univers personnel en pâte à sel et en cocaïne.

TaeHyung déglutit. La chaise du bureau recule en raflant sur le sol. Un pas, les semelles claquent sur les carreaux beiges, deux pas, le froissement du costume, le cœur s'affole. Le sien? Peut-être… il n'est pas sûr.

- Vous n’êtes pas venu chercher la guérison TaeHyung, vous êtes là parce que vous ressentez le besoin viscéral de vous faire remarquer par ceux qui vous intéressent. Alors que faut-il faire pour vous satisfaire? J'ai dit exactement ce que vous vouliez entendre, j’ai joué exactement la personne que vous vouliez voir en face de vous, j'ai répondu a chacune de vos questions. Mais il y a une question, une seule question qui vous brûlait les lèvres et que vous n'avez pas posé. Pourquoi?
- …
- Vous m’avez demandé si j'avais une femme, des enfants, si je vivais seul, ce que les gens pensaient de moi. Mais jamais, jamais vous n’avez demandé si j’étais homosexuel.

TaeHyung sursaute puis se lève à son tour. Il recule. Le mur, derrière lui l'arrête. Trois pas, quatre pas, tout proche maintenant. Il peut entendre la respiration calme malgré le flot de paroles cinglant.

- Vous n’avez pas posé cette question parce que vous connaissiez la réponse. Vous la connaissiez depuis longtemps, avant même notre premier rendez-vous.

Cinquième et dernier pas. Une main vient agripper son col dans un geste étonnamment doux. Le souffle est si près qu’il peut sentir sa chaleur caresser ses lèvres.

- Voilà pourquoi vous n'êtes pas dans ma hiérarchie affective TaeHyung. Parce que vous jouez. Et moi pas. Je n'ai jamais joué, pas une seule des fois où vous étiez là.

Une courte hésitation, la poigne se fait plus faible juste le temps pour laisser au jeune homme le loisir de s'échapper. Il titube, marche jusqu'à la porte comme s'il cherchait à fuir.

- Est-ce que vous voulez revenir?

Il sursaute, la voix est redevenue calme et patiente, s'il se retourne il sait qu'il ne pourra plus partir, s'il se retourne le regard bienveillant va le clouer au siège, le rendre impuissant. Mais peut-être d'une délicieuse impuissance. Ses lèvres s'ouvrent d'elles mêmes quand il pose sa main sur la poignée.

- Oui j'aimerais revenir… une dernière fois.
- Gardez cette envie précieusement.
- Je…

Porte ouverte, il sort, il sait qu'il part pour mieux revenir.

- À la semaine prochaine TaeHyung.

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Bonjour
Nous voilà à l'avant dernier chapitre. J'ai mis beaucoup de temps à l'écrire, j'ai recommencé 5 ou 6 fois peut-être, surtout si l'on prend en compte le fait que j'ai dû réinitialiser mon téléphone entre temps et que j'ai tout perdu.
J'espère qu'il vous à plu. Le dernier chapitre sera très court si on le compare à celui ci, mais j'espère également que vous l'aimerez tout de même.
Je vous remercie d'avoir suivi cette histoire quasiment en temps réel avec moi pour ceux qui l'ont lue à sa sortie et je remercie également ceux qui la liront plus tard, lorsqu'ils tomberont dessus par hasard ou grâce à une recommandation.
Je préfère ne pas gâcher le dernier chapitre avec un de mes messages donc je vous invite ici à garder un oeil sur les prochains écrits que je posterai dans le futur. Ma prochaine fiction portera probablement sur du basket ball, je n'en dis pas plus.
Encore merci et bonne soirée à tous.
Gardez le sourire.

Est Ce Que Vous Voulez Revenir? (TaeHyung-?)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant