« Tu es une Porteuse. »
Je songeais à ces mots qui avaient changé quelque chose en moi et c'était beaucoup plus que ce que je ne pouvais supporter. Discrètement, mais tout de même rageusement, j'effaçais la larme qui traçait son sillage sur ma joue. Nous roulions depuis maintenantune quinzaine de minutes et il ne m'était plus possible de me retenir. Je me sentais mal dans ce silence mortel. Je n'avais prononcé aucun mot et mon regard se perdait dans la nature qui défilait à travers la vitre de la voiture. Je sentais qu'Isée tentait de démarrer une conversation, seulement aucun mot ne pourrait me consoler pour l'instant et elle le savait. Lorsque quelque minutes plus tard, nous nous sommes garées dans l'allée de la maison, c'est sans attendre et sans un regard en arrière que je me suis directement dirigée vers ma chambre et ai claqué la porte le plus fort possible.
« La porte Olympe, ta colère n'est pas un prétexte pour détruire la maison ! »
Cette simple phrase d'Isée me calma et m'énerva à la fois, sentiments bien trop contradictoires pour être vécue en même temps. Néanmoins, ce qui décida définitivement mon humeur fut la phrase qui suivit de la part de Rachel.
« Et puis être Porteuse n'est pas la fin du monde non plus, elle s'en remettra. »
Je sortis de mes gongs pour de bon et descendis les escaliers à toute allure, manquant presque de trébucher. Depuis que j'avais passé la porte de ma chambre, mes larmes n'avaient cessé de couler et alors que je déboulais dans le salon comme une furie,ma vue était brouillée et je ne voyais déjà plus les détails du visage strict de ma Porteuse, Rachel.
« Ce n'est pas la fin du monde ? Tu penses que je veux être comme toi ? Qu'un ventre pour un bébé auquel je n'aurai aucune attache ? Être Porteuse est le pire cauchemar qu'il puisse m'arriver mais bien sûr tu ne peux pas comprendre car tu ne ressens rien et tu étais bien contente d'en être une !
-Tu ne me parles pas de cette façon Olympe, et tu baisses d'un ton immédiatement.
-Je prends le ton qu'il me plaît ! »
Un silence s'abattit dans le salon, Rachel me lançait le regard le plus dur qu'elle avait en réserve et Isée nous regardait à tour de rôle, dépitée. Je restais sur mes positions et maintenais le contact visuel avec ma mère. J'interrompis soudainement ce silence de mort pour crier du plus haut de mes poumons.
« Tout ça s'est de votre faute ! Tout se passait bien avant, j'étais heureuse et je croyais en moi, mais il a fallu que vous gâchiez tout comme d'habitude ! En venant ici vous n'avez pensé qu'à vous et je vous déteste pour ça. Et maintenant par votre faute, je vais devoir être une mégère sans sentiments. Je vous déteste ! »
Sur ces mots, je me saisis rapidement de ma veste, toujours près de la porte, puis quittai la maison sans un mot de plus pour elles. J'entendis leur voix m'appeler et me crier de rentrer, que la nuit était en train de tomber et que la forêt était dangereuse à cette heure de la nuit. Je n'écoutais déjà plus et partis en courant, les larmes me brouillant toujours la vue, en direction de la forêt où je savais pouvoir être au calme.
Le point principal de la Lutte fut qu'il nous fallait un moyen de nous reproduire sans les hommes, ce que le SUM-B21 nous a apporté. Seulement, cet agent n'avait pas pour effet de donner à toutes les femmes la capacité reproductrice. Il déterminait, dès la naissance et en fonction de nos différents taux hormonaux, si nous étions Génitrice ou Porteuse. La Génitrice fécondait les ovules de la Porteuse, qui, comme son nom l'indiquait, portait les enfants durant onze mois. Néanmoins, l'un des effets notoires duSUM-B21 fut que le lien maternel entre la Porteuse et l'enfant n'existait quasiment plus, seul le caractère de l'enfant était transmis par celle-ci. Les hormones qui créaient l'amour et le sentiment de maternité étaient détruits par cet agent lors de la grossesse, et devaient se créer avec l'habitude et le temps, selon les dires. En revanche, ces hormones étaient démultipliées chez la Génitrice, qui tout au long de la grossesse et après la naissance ressentirait un sentiment d'amour immense pour l'enfant, qui lui-même, inexplicablement, se sentirait plus en sécurité auprès d'elle. Il y avait comme un lien entre la Génitrice et le bébé, lien inexistant chez la Porteuse. J'avais pour objectif d'avoir un jour un enfant, de l'aimer, et comme plusieurs filles de ma génération, je rêvais d'être Génitrice et mon rêve venait d'être brisé. Je me suis enfin arrêté de courir et comme je n'avais plus de force, je m'écroulais contre un arbre pour pouvoir pleurer tout le souffle qu'il me restait.
Je me sentais trahie, comme si le monde avait voulu me jouer un tour de plus. Ce n'était qu'un élément qui s'ajoutait au poids sur mes épaules, et cela devenait un peu plus difficile à porter chaque jour. J'avais l'impression d'être abandonnée de tous, de toutes les puissances, de tout le monde. D'un geste enragé, je serra les feuilles mortes et mouillées au sol. Rien n'allait plus aller. Elles ne voulaient pas le comprendre, je n'étais même pas sûre qu'elles puissent le comprendre. Je laissai ma tête retombée dans mes bras, sur mes genoux, et les larmes inondés mon visage. Je n'avais plus pleuré depuis ce qui me semblait des siècles. Lorsque mes yeux se fermèrent, je ne pus empêcher la fatigue de s'emparer de moi. Le silence environnant apaisait mes pensées, visait mon esprit. J'étais tellement fatiguée.
Lorsque je rouvris les yeux, la nuit était bien présente. Après m'être laissée aller aux larmes, je me suis endormie pour ce qui semblait être plusieurs heures. Je me relevais lentement et me décidai à reprendre ma route au chemin opposé. Seulement, la nuit, la fatigue et le froid accumulé m'empêchaient de réfléchir correctement et il ne me fallut pas longtemps pour me perdre. Après une bonne heure de marche, la panique commença à monter. Je n'avais pas pris mon téléphone portable bien entendu, et je n'arrivais pas à différencier un arbre d'un autre. J'avais peur, vraiment peur. Le vent faisait craquer des branches et remuer des feuilles, mais j'étais certaine qu'il ne s'agissait pas uniquement de la brise. J'en fus d'autant plus persuader lorsque je vis indistinctement quelque chose bouger d'un arbre à l'autre. J'aurais pu courir ou crier, mais étrangement la peur bloquait chacun de mes muscles. Je n'arrivais plus à penser clairement et je paniquais pour de bon. Je revis la silhouette, cette fois plus nettement et elle était grande, très grande. J'entendais un souffle venir des arbres, une respiration haletante. Si j'avais pu faire la moindre chose, je me serais mise à pleurer, mais même ça, je n'y parvenais pas. Finalement, je pris mon courage à deux mains et décidai de parler, car dans toutes les probabilités du cas où je ne parlais pas, je mourais, il valait mieux faire quelque chose.
« Qui est-ce ? »
J'entendis ma voix chevrotante crier plus fort que prévu. Seul un écho lointain me répondit et j'eus d'autant plus peur que le souffle semblait se rapprocher de moi. Soudain, sans que je ne m'y attende, une silhouette sortit de la pénombre en face de moi. Une grande ombre impressionnante de laquelle je ne pouvais que distinguer la carrure massive et une chevelure longue et dense. Lorsque je fus adapté à l'obscurité, mon cœur s'arrêta de battre, ma respiration se coupa et je crus mourir le temps d'une longue minute.
Face à moi se tenait un Homme.
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Au-delà des bois
Science FictionUn monde sans hommes, la Terre peuplée uniquement de femmes pouvant se reproduire entre elles, cela semble impossible, voire inimaginable ? C'est pourtant dans ce contexte qu'Olympe a toujours vécu, entourée uniquement de femme, la gorge pleine de q...