CHAPITRE QUATRE

48 5 0
                                    




Nous avions commencé la journée avec le cours que je déplorais le plus, Histoire des Ères. Je n'avais jamais l'impression d'apprendre dans ce cours, les livres me semblaient toujours plus précis sur le sujet que mes enseignantes. Alors, une fois par semaine, je me retrouvais dans cette salle de classe, à attendre seconde après seconde, que la cloche de fin des cours ne sonne. Néanmoins, étonnamment, le cours du jour avait attiré mon intérêt. Depuis le début du semestre, nous devions écouter différents exposés proposés par nos camarades, et celui de ce jour-là, sur le début des ères m'avait vraiment intéressée et ouvert ma curiosité. Il n'y avait rien dedans que je ne savais pas, mais j'avais tout de même pris énormément de note. J'écoutais avec attention les questions posées par les autres élèves, jusqu'à ce qu'une d'elles ne parlent de la condition actuelle des hommes et de son évolution par rapport au début de Raya-Ève,la première ère. Comme le sujet était lancé, je ne pus retenir la question qui envahissait ma tête depuis plusieurs jours déjà.


« Madame, est ce que les théories à propos des hommes sauvages sont vraies ?

-Nous avons déjà abordé ce sujet, Olympe. En 2457, le dernier homme sauvage a été appréhendé.Il n'y en a plus sur le continent. Néanmoins, l'Atlas est vaste, et des troupes ont été déployées dans les Terres Abandonnées, par mesure de sécurité. La naissance masculine est complètement et entièrement contrôler, vous n'avez aucune crainte à avoir.

-Mais, comment être sûre que tous les hommes ont été appréhender ? »


Je sentis tous les regards de la classe se tourner vers moi, tous me jugeaient ostensiblement. Je savais que les filles de mon école prenaient plaisir à dire que j'avais des croyances de conspiration, et je sentais que mes questions étaient pour elles une confirmation de cela. Et pourtant,je ne pouvais m'empêcher, j'avais besoin de réponse. Alors je laissai glisser leur regard jugeant sur moi et garda le regard fixé sur ma professeure.


« Ils sont tous dotés de puce, ils ne peuvent ni la retirer ni s'éloigner de leur centrale d'assignation.

-Qu'est-ce qu'il se passe s'ils font l'un ou l'autre ?

-Olympe, tes questions perdent de pertinence et n'ont plus de rapport avec le cours. Ça suffit maintenant, ta curiosité devient malsaine. »


Je sentis mes joues rougir de honte puis je baissai le regard et me remis à griffonner sur mon cahier en silence. J'entendis les légers rires de certaines personnes dans la classe, mais je ne pus me résoudre à relever le visage. Le cours continua calmement, et lorsque la cloche sonna finalement, je fus la première à prendre la sortie. Je marchai à toute vitesse en direction de mon lieu de Tâches, qui heureusement se trouvait près de chez moi ce jour-là.


Les Tâches avaient été instaurées au début l'ère Méridia, la troisième ère. Cela consistait à mettre à l'ouvrage la totalité de la population selon ses capacités. Elles commençaient à l'âge de dix ans, finissaient à cinquante ans et permettaient d'égaliser les rôles dans la société. Dès le début de leurs Tâches, les enfants sont assignés à des groupes auxquels ils resteront attachés jusqu'à ce que les différents travaux deviennent individuel, la plupart du temps à la majorité. Aux plus jeunes étaient confiés les Tâches les plus simples et les plus proches de chez eux, tandis qu'en grandissant elles se complexifiaient et s'adaptaient aux groupes.


Ce jour-là, je devais faire le tri des déchets dans mon quartier, ce qui me facilitait la vie au moment de rentrer chez moi. Durant les deux heures de la Tâche je dus faire face aux filles qui plaisantaient entre elles, me laissant délibérément seule. Ça n'arrivait pas tout le temps, mais je ne pus m'empêcher de compter les minutes, peut-être même les secondes, avant de pouvoir rentrer chez moi.


Alors que j'exécutais mes tâches, je sentis un regard porté sur moi. Je me retournai vers les autres, toujours en pleine discussion, ne me prêtant aucune attention. Je fis abstraction de ce sentiment étrange et me remis à l'ouvrage. Cette sensation dérangeante persistait et je me sentis quelque peu mal à l'aise, comme en danger. Je relevai mon regard et le tournai dans toutes les directions, jusqu'à ce qu'il se porte sur la forêt dans mon dos. Mon regard se figea sur celle-ci, un instant,je crus voir une ombre, un mouvement dissimulé. J'essayai de ne pas paniquer, de ne pas laisser l'angoisse prendre le dessus. Je me remis au travail, plus presser que jamais de finir ma tâche. Lorsque je relevai les yeux une nouvelle fois quelques instants plus tard, je levis distinctement. Je vis l'Homme de la dernière fois. Encore une fois tétanisé, je n'osai pas prononcer le moindre mot, faire le moindre bruit.


Nos regards étaient fixés et malgré sa distance, je voyais dans ses yeux la crainte. Nous restâmes une bonne minute à nous fixer mutuellement avant qu'une fille du groupe ne crie à voix haute.


« On se voit lundi ! »


Je détournai mon regard et les vit s'éloigner, chacune en direction de chez elles, après avoir rangé le matériel. Lorsque je regardai à nouveau l'homme, je ne pus que constater qu'il était parti. Je déposai mon matériel rapidement, puis sans comprendre mes propres gestes je me mis à courir vers la forêt, puis dans la forêt. La situation était dangereuse et impensable, complètement irréelle. J'aurais dû contacté les autorités, mes mères, quelqu'un, mais je ne pouvais pas, c'était plus fort que moi. Je devais avoir des réponses, il m'en fallait coûte que coûte. Alors avec tout le souffle que j'avais, je courrais, dépassant mes limites pour le retrouver. Je ne savais pas si c'était lui qui était rapide ou moi qui ne courais pas aussi vite que je le pensais, mais je sentais la distance entre nous s'élargir. J'avais l'avantage du jour cette fois-ci, les hauts séquoias ne me paraissant plus aussi menaçant que quelques jours plus tôt. Je courus jusqu'à sentir un feu dans mes poumons et lorsque je n'en pus plus, je m'arrêtai contre un arbre et repris ma respiration les yeux fermés. Après avoir repris mon souffle durant quelques instants, je pus enfin rouvrir les yeux. Il était en face de moi, à une petite dizaine de mètres.


J'étais tétanisée, mais je tentais de contrôler ma peur. Comme la dernière fois, il me semblait fatigué et craintif, mais puissant et massif. Il était un tout de contradiction, quelque chose que je n'avais jamais vu. Je me sentis tremblé un peu, mais j'essayais de dissimuler ma peur. Je ne voulais pas lui laisser apparaître qu'il m'effrayait. Je me permis de le détailler plus en profondeur, je pus voir ses longs cheveux de jais qui semblaient lui tomber jusque dans les omoplates, ils étaient emmêlés et semblaient terriblement sales. De loin, je ne pouvais pas distinguer la couleur de ses yeux, mais ils étaient très clairs, presque transparents, perçant. Il me semblait plus couvert que lors de notre précédente rencontre, mais malgré cette couche supplémentaire de vêtement, je pouvais visualiser son corps fin en malnutrition, ce que son teint pâle me laissait comprendre.


Il interrompit brutalement le silence, d'une voix rauque et plus grave que ce que je n'ai jamais entendu.


« Que me veux-tu,Femme ? »


En entendant son ton quelque peu méprisant, je repris consistance et me tiens plus droite que précédemment. Je ne devais pas le craindre, je n'étais pas égale, mais supérieure à lui. J'aurai mes réponses, quoi qu'il en soit.

Au-delà des boisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant