Alors que j'expérimentais simplement ce qui m'était prédéterminé depuis ma naissance, je vécu ce qui s'annonça comme être un changement.
Ce simple mot de « changement » avait été quasiment banni de mon vocabulaire. Il ne me correspondait pas. En effet, mon désir absolu était de rester dans le moule déterminé de la mesure. Il était hors de question que je me retrouve dans une position inconnue avec des données toutes aussi nouvelles.
Ce nouvel état bouleversant toutes mes certitudes, se produisit en moi, le jour où, lors d'une journée froide d'hiver, il y eut un élément perturbateur qui s'introduisit perfidement dans mon quotidien et, qui arriva, comme une pluie après une chaude journée, aussi imprévu qu'instantané.
Ce bouleversement se matérialisa en une personne. Une femme.
Les premiers temps, je ne m'en formalisais pas, elle n'était qu'un autre individu avec lequel je devais composer. Je me préoccupais assez peu d'elle et il en était de même pour elle, à mon sujet. Elle faisait petit à petit partie de mon ordinaire, sans pour autant le bousculer. Je ne me méfiais pas. Et pour quoi d'ailleurs aurais-je dû craindre ou redouter cette femme ? Si elle avait été mise sur mon parcours, c'était bien qu'il devait en être ainsi...
Cette femme, qui n'était alors qu'une simple collègue à mes yeux, ne pouvait alors qu'influer seulement sur mon domaine professionnel. Et encore, même sur ce terrain j'avais des doutes qu'elle puisse changer quoi que ce soit. En effet, le peu d'accointances que nous partagions se résumait à de banale politesse du genre « Bonjour-Au revoir ». Cependant, du fait qu'elle ne s'intéressait que très peu à moi, que je ne représentais à priori rien pour elle, que je ne lui servais même pas dans la réalisation de ses tâches ingrates, je commençais par me poser des questions sur cette femme.
Pourquoi n'avait-elle pas eu encore besoin de moi ? Pourquoi, alors que les autres n'hésitaient pas à profiter de mes connaissances et de mon expérience, n'avait-elle pas eu encore le désir de venir socialiser avec moi ?
La réponse m'explosa clairement au visage quand, insidieusement, et sans que je m'en rende vraiment compte, elle commença à prendre de la place. À prendre ma place.
C'était donc ça la finalité ! Voilà pourquoi le destin nous avez amené à nous croiser.
Pour que cette femme devienne moi...
Un peu plus chaque jour, l'admiration que mes autres collègues avaient auparavant pour moi disparu comme neige au soleil. Bien entendu j'étais la neige, elle était le Soleil. Je devins transparente. Mes conseils n'étaient plus la bienvenue, et tout ce que je proposais pour l'amélioration de mon cadre de travail avait été déjà mis en place par celle qui devint ma remplaçante.
Elle prenait tout. Elle captait tout. Les regards comme la lumière étaient braqués sur elle. Elle était solaire et tout gravitait autour d'elle.
Peu à peu et au fil des jours, sa façon d'être m'obséda. Je voulais reprendre ma place, retrouver ce que j'avais avant son arrivée, ne serait-ce que des miettes de son attractivité, car j'avais perdu tous pouvoirs.
Il n'y avait pas un seul jour où je ne l'observais pas de loin. J'étudiais ses gestes et ses vêtements. Je respirais l'odeur de son parfum quand elle passait près de moi, laissant un sillage capiteux dans les pièces où elle avait été. Je voulais la reproduire, être ce qu'elle était puisqu'elle avait réussi à m'absorber.
Mon comportement changea, mais au sein de mon travail cela ne fit pas grand-chose, en revanche cela ne fut pas du goût des personnes de mon entourage personnel. Petit à petit, ma famille, mes amis arrêtèrent de me parler, de me voir et je me suis retrouvée seule. Plus de mari, plus d'amis. Mais cette solitude je ne l'avais pas réalisé de suite...
En quelques mois, j'avais réussi à changer tout ce qui avait été moi, si bien que, lorsque je me regardais dans un miroir, je ne me voyais plus, mais je la voyais elle. J'avais changé de couleur de cheveux pour lui ressembler, changé ma façon de m'apprêter, de me maquiller, de me coiffer.
Et le pire dans tout cela, c'est que j'aimais ça.
Malheureusement les résultats attendus ne se réalisèrent pas. Plus j'essayais de revenir sur le devant de la scène, plus je disparaissais derrière un rideau ; plus je devenais elle, plus je m'effaçais...
Que faisait-elle que je ne faisais pas ?
J'entrepris alors de ne plus suivre seulement des yeux tout ce qu'elle faisait, mais de la suivre dans son intimité. En fin de journée, je me surprenais à la pister jusqu'à chez elle. De ma voiture garée devant son appartement, je tentais de l'apercevoir à une fenêtre. Je voulais tout connaître d'elle. Le moindre détail avait son importance, allant même à savoir ce qu'elle pouvait manger ! N'ayant pas toutes les réponses aux multiples questionnements qui affluaient en mon esprit concernant sa vie privée, je commençais par m'exaspérer. Je n'entrevoyais pas de solution pour résoudre la situation, je restais encore trop loin d'elle, elle était mon sommet inaccessible...
Alors qu'un soir, j'étais toujours à mon poste d'observation, je la vis sortir de chez elle en tenue décontractée, une poche poubelle dans les mains. Enfin je pouvais l'apercevoir dans un moment de sa vie en dehors de notre lieu de travail ! J'en étais bouleversée. J'avais envie de rire et de pleurer en même temps. Elle était toujours autant charismatique, même sans tous ses apprêts. À mes yeux, elle était même encore plus envoûtante qu'avant. Une beauté énigmatique qui la faisait paraître plus grande. Elle était au-dessus de tout et de tout le monde. Malgré la simplicité de la scène à laquelle j'étais en train d'assister, je ne voyais qu'un halo émanant de sa personne. C'était une déesse parmi les vivants.
Me rendant compte de ce que sa vue pouvait provoquer en moi, j'eus la certitude que j'éprouvais une attirance pour elle. C'était physique, c'était psychique. Un mélange irraisonné de sentiments qui s'entremêlaient mais qui me fit arriver à une seule et unique conclusion : je voulais la posséder. Je voulais être le plus proche d'elle, je voulais la toucher, la palper, enfoncer mes doigts en elle, dans toutes les pores de sa peau, comme si l'on malaxait une pâte.
Alors que j'étais dans mes pensées je la vis jeter avec fracas, le sac de détritus qu'elle tenait, puis, elle rentra chez elle sans un regard sur ce qui l'entourait. Heureusement pour moi, car l'excitation qui m'avait pris en la voyant, m'avait fait prendre quelques risques, et au lieu de rester la plus discrète possible, cachée derrière la portière fermée de ma voiture, j'avais omis l'idée d'être possiblement vue. Je n'avais en tête que le désir de la voir vivre et se mouvoir.
Juste après que la porte se soit fermée derrière elle, une bouffée de curiosité s'empara de moi. En ni une ni deux je sortais de mon véhicule et me précipitais à la recherche de ce qu'elle avait jeté. Je voulais en savoir plus sur elle, et cela passer par fouiller ses poubelles.
Je n'avais aucune gêne de me retrouver les deux bras farfouillant dans les déchets. Les passants pouvaient me voir, cela ne me faisait ni chaud ni froid, j'étais seulement poussée par ma furieuse convoitise. Après quelques minutes de recherche et trouvant enfin ce que je cherchais, je me précipitais alors vers le coffre de ma voiture, balançais mon précieux trésor dedans et me repositionnais derrière le volant.
J'espérais pouvoir la revoir quelques instants, ombre derrière les rideaux de sa fenêtre, mais les lumières à l'intérieur de son appartement étaient toutes éteintes. Il était donc pour moi le temps de rentrer et d'avoir tout le loisir de déballer ma trouvaille inespérée.
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Le début, le milieu, la fin
Short StoryUne femme, bien sous tout rapport, va tomber dans une sorte de folie au contact d'une toute nouvelle collègue. Texte fait pour un concours d'écriture de nouvelles avec pour thème: "le jour qui a changé votre vie"