Inspire-moi

1. S comme surprise

J'ai mis mon plus bel ensemble de sous-vêtements ce soir. C'est à peine si j'arrive à respirer sous ce corset probablement trop étroit pour moi. Je tire sur ma robe, gênée à l'idée que l'on puisse découvrir mes portes-jarretelles. Le bar est bondé, et ce soir c'est le grand soir. Je vais repartir avec un sex-appeal sur pattes. Il le faut si je veux être une écrivaine digne de ce nom.

Dans mon métier, on est souvent avide d'expériences nouvelles, pour être au plus proche des émotions de nos personnages, pour que chaque scène soit réaliste au possible. Et moi, mon truc, c'est la romance érotique. C'est toute ma vie. J'adore écrire des scènes chaudes et torrides à souhait mais la seule expérience que j'ai eu dans la vie, c'est mon ex. Et devinez la blague ? Il est impuissant ! Avec les galipettes, inutile de vous faire un dessin : bonjour le manque d'inspiration.

Je longe le comptoir, à la recherche d'une proie potentielle et m'assieds sur un haut tabouret. La musique est si forte que je ne parviens pas à entendre les mots du barman. Le rock ça n'a jamais été mon truc, mais les rockeurs... Alala.

- Je vous serre ... ?

- Oh euh, un gimlet s'il-vous-plaît.

- On n'en fait pas ici, désolé mademoiselle.

- Comment ça pas de gimlet ? Ce n'est pas possible. J'en ai commandé un l'autre soir ! Vous ne vous souvenez pas de moi ? Avec la robe rouge, je suis romancière.

Il me regarde, perplexe, je vois bien qu'il ne se souvient absolument pas de moi. Il sourit, un peu gauchement et s'excuse à nouveau. Je soupire et me résous à regarder la carte de leurs cocktails. Et bin dis donc, pas moins de treize dollars le verre. Et effectivement, le gimlet n'est pas sur la carte. Je commande donc un mojito et au même moment, un biker s'accoude sur le bar, près de moi.

- Vous êtes seule ? Me demande t-il.

Pour sûr que je suis seule ! Je n'aurais même pas eu besoin d'user de mes regards mielleux et de mes postures aguicheuses. La proie se jette dans la gueule du loup et elle est belle comme un sucre. Un grand blond recouvert de tatouages, un Marcel oversize troué, un jean complètement taché et une paire de rangers. Que rêver de mieux ?

- Oui, je commençais d'ailleurs à m'ennuyer. Vous tombez à pic.

- Je paye son verre à la demoiselle, il s'adresse au barman, à qui ai-je l'honneur ?

    - Abbygail. Mais tout le monde m'appelle Abby. Et vous ?

    - Esse.

    - Esse... Comme la lettre ?

    - Exactement Gail.

    - J'ai dit Abby.

    - Gail.

    Il sourit révélant une parfaite dentition, une malice danse dans ses yeux verts. Nous buvons nos verres. Il me plaît beaucoup, pas moyen, il faut que j'en fasse mon dessert. Aussi je lui présente mon projet avec tout l'entrain dont je suis capable.

- J'ai envie d'action, d'une tension sexuelle insoutenable, quelque chose qui prend aux tripes et pour ça il me faut de l'expérience.

- Et tu voudrais me faire croire que tu n'as pas d'expérience ?

- À vrai dire je suis séparée de mon mari depuis seulement un mois et depuis je recherche un compagnon, mais aucun n'a su me convaincre.