Chapitre 4

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          Je tombe face à face avec un homme d'une grande taille, vêtus d'un costard marron, un corps cadavérique, les cheveux soigneusement rabattus sur le côté du crâne, deux yeux globuleux dissimulés derrière de fine lunettes, l'air strict du directeur me paralyse. 

"Que faites-vous à courir dans les couloirs? Trempé qui plus est?" me demande-t-il en détachant chaque syllabe sous l'énervement "Ne devriez-vous pas vous trouver en cours en ce moment?"

J'affiche un air désolé en baissant le regard. Dans ces moments, il vaut mieux se rabaisser le plus possible pour éviter de s'attirer des ennuis, et trouver un excellent mensonge en prenant l'air le plus pitoyable que nous avons dans notre répertoire, encore plus pitoyable que ma situation sur le toit.

"Ma mère m'a téléphoné en urgence, mon père a eu un accident de voiture, je suis sorti pour prendre l'appel." mentis-je en le regardant dans les yeux, le regard larmoyant face au sien qui tentait de ne pas flancher. "Je suis désolé, je suis prêt à faire des heures supplémentaires à l'université pour rattraper mon retard."

Je le sens, il est sur le point de flancher. Je lui souris tristement avant de baisser la tête et de me rendre en direction du prochain cours qui avait débuté depuis déjà une bonne vingtaine de minutes, lorsqu'il m'interpella durement.

"Je pense que je peux passer l'éponge pour cette fois, mais tâcher d'être présent pour les prochains cours et veillez à bien rattraper celui qui vous venez de manquer. Ce serait dommage de louper l'occasion d'avoir de bon résultat, surtout que les examens approchent à grands pas. Et puis, vous êtes un élève brillant, j'espère simplement que tout ira bien pour vous et votre famille dans l'avenir".

Je réprime un sourire de satisfaction, je suis vraiment le meilleur. Il prend congés et j'en fis de même en me rendant à la bibliothèque. Je m'étire en essuyant ces fausses larmes que j'avais préparé au cas où j'écoperais d'une punition après ma réprimande. Je n'aime pas trop cette endroit, trop de vieux livres à mon goût. Je me demande comment font les rats de bibliothèque pour y rester toute la journée à lire tandis qu'il fait si beau à l'extérieur. Même si aujourd'hui ce n'est pas le cas. Je me décide à prendre place devant un ordinateur et me connecte discrètement sur les réseaux sociaux. Je passe en revue les partages de chat jouant entre eux et les challenges pour ceux qui n'ont rien à faire dans leur vie que de se payer la honte sur la toile. Mon regard s'attarde sur le nouveau selfie de Jessica. Cependant, un détail m'interpelle. Derrière elle se trouvait Loan, les écouteurs sur les oreilles, les yeux posées sur son écran de téléphone. En commentaire, elle a lancé le #JeSuisAvecLeNouveau. Les autres internautes se sont mis à en faire de même, certains passant même le bras autour des épaules du garçon. Ce type a l'air d'être devenu la nouvelle coqueluche de l'université; pensais-je à voix haute avant de brusquement reculer sur mon siège. Je n'y crois pas, même Rayan a réalisé le tag. Mais à quoi il joue? Je souris malgré moi. Ce mec a toujours été imprévisible mais lorsqu'il avait une idée en tête, il était extrêmement rare qu'il l'abandonne. Il doit certainement prévoir "l'effet miroir". "L'effet miroir" est un plan parmi tant d'autres que nous avons aménagé lors du commencement de notre jeu quotidien. Il consiste à devenir très proche de la victime, de la mettre suffisamment en confiance pour le pousser à la confidence. Sauf qu'il est censé durer tout un mois, ce qui signifie que la cible va être la même jusqu'à fin janvier, voir début février si le plan ne se déroule pas comme convenu. La seule fois où nous l'avons effectué, la fille en question avait du déménager. C'était il y a deux ans, je ne l'ai plus revu depuis ce jour là où sa mère était venue déposer la lettre de démission au côté de sa fille. Rayan et elle étaient sorties ensemble. Elle lui avait révélé des choses difficiles dont on n'aurait pas dû s'en servir pour la détruire. Rayan avait été trop loin, et je l'avais suivi. Ce n'était qu'un jeu après tout, et puis maintenant elle n'est plus là donc ce n'est plus un problème. Je tape le nom de "Loan" sur le réseau et tombe sur plusieurs comptes, mais aucun ne semble lui être accordé. Peut-être qu'il n'en a pas, ou bien qu'il possède une identité cachée. Après tout, tout est possible sur internet. Soudain, une fenêtre de discussion s'ouvre en bas de mon écran. C'est Jessica qui m'a envoyé le nouveau challenge du moment en y inscrivant "trop flippant". Je ne prends pas la peine de cliquer sur le lien, cela ne m'intéresse pas. En revanche, je lui informe de la perte de sa carte gold. La réponse ne tarde pas. Une photo de l'objet en sa possession. "Loan me l'a ramené, apparemment il ne te trouvait pas pour te la rendre. Il est plutôt cool dans son genre ;-) " Je ferme la fenêtre. La sonnerie ne devrait plus tarder à retentir. Je m'apprête à partir en prenant soin de me déconnecter de ma session. Le sac sur l'épaule, je quitte le CDI sans un regard pour les autres occupants. Les couloirs sont peu remplis, ce qui me laisse le temps de me rendre à mon casier pour y déposer quelques affaires encombrants et prendre mon livre de mathématiques. L'idée de sécher ne me déplairait pas. Je soupire en claquant la porte, provoquant le sursaut des étudiants présents. 

Le temps des regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant