Chapitre 15

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          Finalement, je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Mon père ne m'a pas adressé la parole, pas plus que ma mère. Il a dû user de son autorité pour la faire taire. Loan est parti tôt ce matin, sans un bruit, ni un regard. Je pense qu'il m'en veut. Je rends à la fac, la boule au ventre, appréhendant la suite des événements. A comble de malheurs, je dus ralentir le pas. Rayan fume devant l'établissement, seul. Je sais qu'il m'attend. Il n'en a pas eu assez. J'arrive avec difficulté à sa hauteur. Je n'ai jamais eu aussi peur de lui qu'en cet instant. Il lève ses yeux sur moi, les mains dans les poches de son éternel veste au logo de l'équipe de football de la fac.

"Salut, mec." Me dit-il dans un sourire.

J'effectue un sursaut de surprise. J'ignore ce qu'il prévoit, mais cela n'est jamais bon avec lui. Je ne lui réponds pas, au risque de provoquer sa colère. Je n'ai plus rien à perdre désormais. J'avale difficilement ma salive en sentant une pression sur mon épaule. 

"Ecoute, j'suis venu m'excuser."

Je me détache de son emprise. Il a failli me tuer, ce type et les autres sont cinglés. Je m'apprête à repartir lorsqu'il m'empoigna par le col de ma veste, me plaquant contre le mur auquel il était appuyé.

"L'entraîneur veut que je devienne le nouveau capitaine." Mon regard s'écarquille à l'entente de la nouvelle. S'il devient capitaine, s'en ai fini de l'équipe. "Mais si tu acceptes de redevenir comme avant, je suis prêt à renoncer au poste."

"Rayan, je n'ai pas changé."

"Tu fais de la peine à Jessy."

"JE lui fais de la peine ou TU lui fais de la peine? Réfléchis bien Rayan, ce n'est pas parce que je traîne avec Loan que je suis différent. Car c'est à cause de vous que je suis devenu celui que je ne suis pas."

"Une pédale?"

"Non, libre."

Son poing s'abat sur mon visage. Ma tête pivote, provoquant une violente douleur à la nuque.

"Choisis ton camps, Redor."

Il s'éloigna, sans un regard dans ma direction, les mains s'enfonçant dans ses poches. Quelque chose semble avoir changé dans son attitude. Il est plus calme, se contenant dans ses excès de rage. Et puis, le Rayan que j'ai connu n'aurait jamais accepté de céder sa place de futur capitaine à un ami. Pour rien au monde. Et pourtant, il l'a fait, au nom de notre amitié passé sans doute. Si seulement il pouvait ouvrir les yeux sur son comportement. Ma lèvre inférieur me lance. Je pose mon index sur cette dernière avant de constater qu'un liquide vermeil s'en échappe avec une facilité déconcertante. Décidément, je ne cicatriserai jamais à cet endroit là. 

          Ma main s'abat sur la poignée, ouvrant dans un grincement familier la lourde porte menant au sous-sol de la fac. Je la referme doucement avant de descendre les marches de l'escalier. Mes sens s'éveillent à l'odeur assez marquante des bombes de peinture qui me monte à la tête. Puis, le son d'une guitare me parvient. Eric et son instrument c'est comme moi avec mon ballon de football, une évidence. J'effectue les quelques pas me séparant de la salle de musique où s'émane la musique. Toujours le même groupe mais avec une mélodie différente. Can you feel my heart résonne entre les murs. Or, sa manière de jouer est différente des autres jours, elle est beaucoup plus agressive. J'arrive à la hauteur des fenêtres. Il est seul, violent dans ses gestes, dans son attitude. La force qu'il met dans la pression de ses doigts est telle qu'il manque de briser une corde à plusieurs reprises. Il effectue également quelques faux accords, jurant à chaque reprise. 

La mélodie du coeur, la symphonie de la haine.

J'entre précipitamment dans la salle, lui arrachant son instrument des mains avant la fin de la chanson. Je ne saurais l'expliquer mais je ne peux continuer de l'écouter en silence, le laissant massacrer son art. Il ne réagit pas tout de suite, reprenant avec difficulté sa respiration. Je pose délicatement l'objet sur le sol avant de me faire plaquer contre le mur de la pièce.

Le temps des regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant