Chapitre 14

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          Le temps s'écoula aussi rapidement que le baiser furtif d'un départ. Nous avons soupé dans les alentours de vingt-et-une heures. Mon père a voulu marquer le coup en commandant des pizzas. Jusqu'à ce que ma mère prenne une part dans le carton de mon père. Elle a fini avec un surplus de sauce tomates sur le visage. Loan est resté en retrait une bonne partie de la soirée avant de se joindre au festivité. Il fut bombardé de question en tout genre. Mes parents ont toujours été trop curieux quand cela concerne de faire de nouvelles rencontres. Durant tout le repas, je ne lui ai pas lâché la main. Cela se voit comme le nez au milieu du visage qu'il n'est pas habitué à être entouré, dont son malaise. Jusqu'à ce que je croise le regard sévère de mon père, m'obligeant à rabattre mes mains sur mes genoux. Il me fit un signe de la tête, m'indiquant la pièce d'à côté. Il se lève, j'en fis de même. Je laisse Loan face à l'interrogatoire de ma mère. On se rend dans le hall d'entrée, à l'abri des regards indiscrets, seul à seul, face à face. Il croise les bras sur sa poitrine, le buste gonflé, le dos droit. Je croise les bras sur le tee-shirt que j'ai du enfiler à la halte avant de descendre.

"Peux-tu m'expliquer à quoi tu joues?" me demande-t-il durement, sa voix me pétrifiant sur place.

Mon père n'a jamais élevé la voix contre moi, à défaut de ma mère que le faisait régulièrement lorsque je réalisais une bêtise ou que je ne n'avais pas effectué les tâches ménagères de la journée.

"Je ne vois pas de quoi tu parles." répondis-je en haussant les épaules.

"Tu vois très bien de quoi je parle, Nathan." Il lance un bref coup d'œil vers l'endroit où s'esclaffe ma mère avant de replonger des yeux plus calmes dans les miens.

"Depuis combien de temps?"

"Je ne..." je n'eus pas le temps d'achever ma phrase qu'il me jeta à la figure ces mots que je ne voulais entendre.

"Depuis quand mon fils est un suceur de queue?! Jessica ne te suffisait pas?!"

Je recule de quelques pas. Moi qui pensait avoir retrouvé une famille, une protection, un toit. Non, tout ceci n'était qu'une vulgaire illusion de mon esprit. Il n'a pas encore ouvert les yeux, il reste aveugle au monde en se voilant la face. Étrangement, je ne lui en veux pas puis ce que je me suis aussi comporté comme ça avec Loan. Je ne me pense pas homosexuel. Il n'y a que lui, et seulement lui, pour qui je veux devenir celui que je suis vraiment et non plus l'image que je renvoie au quotidien. Je lui souris en lui tournant le dos. Il finira bien par comprendre, il lui faut simplement du temps.

"Nathan, c'est lui, n'est-ce pas? Le gars qui réalise la liste de défis sur internet."

Je me retourne rapidement dans sa direction les yeux humides malgré moi. Après tout, il a toujours été là pour moi. Ce père qui me fait face, me fixant si froidement, celui qui m'a épaulé dans les difficultés de la vie, qui m'a soutenu dans les moments difficiles, qui m'écoutait lorsque ça n'allait plus dans le gouffre de mon existence, qui m'a toujours maintenu la tête hors de l'eau lorsque je me noyais, semble n'être plus qu'une chimère. J'affirme ses dires d'un hochement significatif de la tête avant de me retourner vers la salle à manger, adjacente au salon. Un pas après l'autre, je tente de ne pas perdre l'équilibre, de ne pas faillir face à lui. Je parviens lentement jusqu'à la pièce où résonne tous ces rires s'étouffant dans mes canaux auditifs. A peine eus-je franchi le seuil qu'un bruit sourd retentit dans l'entrée. Ma mère se tourne dans ma direction et, à ma vue, se leva de sa chaise. Or, elle n'eut pas l'occasion de me prendre dans ses bras, comme elle avait l'intention de le faire. Mon ami avait bondi de sa place avant de m'étreindre. Un ami? Puis-je lui donner cette appellation, moi qui suis à l'origine de son malheur, moi qui l'est trahis? Pourquoi m'enlace-t-il aussi fortement dans ses frêles bras couleur neige? Pourquoi est-ce que je ressens le besoin de me blottir contre lui, ainsi que cette irrépressible envie de l'embrasser? Que sommes nous devenu l'un pour l'autre? Ma mère sort de la pièce en entendant le meuble à chaussure percuter le sol. Incapable de me calmer, je tremble, suffoque, dans les bras de mon pilier.  Je ne parviens pas à hurler, les sons restant bloquer dans ma gorge comme à mon réveil à l'hôpital. Il a juste besoin de temps; ne cessais-je me répéter encore et toujours en resserrant l'étreinte. J'avais l'impression que si je le lâchais, le monde s'écroulerait autour de moi, que je tomberai dans un trou noir sans fin, effaçant mes souvenirs, mes mots, mes maux et mes larmes.

Le temps des regretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant