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En arrivant au bout du corridor, je me rendis compte que la porte était verrouillée. J'avais beau tirer dessus de toutes mes forces, rien n'y faisait. Je donnai un coup de pied dedans avec colère. Comme fait exprès, la porte sortit de ses gonds et tomba par terre. Je m'apprêtais à crier sur mes amis, lorsque j'entendis des voix inconnues dans le couloir.

- Mais enfin Clara, je vous prie, réfléchissez-y au lieu de refuser directement !

- Oh Walter je vous prie, ma réponse est non, je ne veux pas vous épouser. Je ne vous aime pas et je ne vous aimerai jamais, gémit une voix de femme, excédée.

Je remis la porte en place et me cachai dans un coin sombre de la pièce.

- Madame...

- Faites moins de bruit Walter, n'entendez-vous pas quelque chose ? fit la voix de femme, suspicieuse.

- Non, absolument rien.

- Très bien. Maintenant je vous invite à prendre congé.

- Bien, madame.

L'homme partit et la femme entra en fermant la porte derrière elle. Elle était grande, fine et belle, avec une mâchoire assez carrée, de grands yeux bruns en amande, et un nez fin. Ses cheveux bruns étaient coupés au carré, et une petite frange s'arrêtait juste au-dessus de ses sourcils. Elle était vêtue d'une longue robe, d'un manteau lui arrivant en dessous de sa taille, et d'un chapeau cloche, comme les femmes des années vingt. Cette fille semblait tout droit sortie du passé.

Qu'est ce que c'est que cette mascarade ? songeai-je. Cette personne ressemble énormément à celle du tableau. Ça doit être une amie d'Annabel, qu'elle a amenée ici pour me faire une farce. Je me levai et sortis de ma cachette.

- Bonjour ! Je ne sais pas qui tu es, mais tu peux dire à Annabel que sa farce n'a pas fonctionné, fanfaronnai-je. Je sais très bien que le tableau était un faux.

- Aaaaaah ! Mon dieu, qui êtes-vous ?

- Moi ? Mais je suis...

- Oh mais oui ! s'écria-t-elle. Comment ai-je pu ne pas y penser plus tôt !Venez, suivez-moi.

- Mais...

- Stop, pas de discussion. Il ne faut pas que l'on sache que vous êtes ici ! murmura-t-elle précipitamment. Vite, sortons !

Elle ouvrit prudemment la porte, et, s'apercevant que la voie était libre, me saisit le poignet et me traîna derrière elle.

- Mais où m'emmenez-vous ? criai-je. Et puis qui êtes-vous d'ailleurs ?

- Je vous ai dit de vous taire ! Il faut que nous sortions d'ici, et le plus discrètement possible, fit-elle en descendant l'escalier sur la pointe des pieds. Je vous expliquerai tout plus tard.

Je me tus et la suivis aussi discrètement que possible. Arrivées au deuxième étage, elle me prit par le bras, et m'entraîna dans une chambre extrêmement spacieuse. Je la reconnus tout de suite. C'était la chambre de la grand mère d'Annabel. Pourtant, elle n'était pas meublée comme d'habitude. Des meubles antiques étaient disposés avec goût aux quatre coins de la chambre, et un des murs était recouvert d'un rideau écarlate. Je me tournai vers Clara et la regardai avec défi.

- Je ne ferai rien de plus tant que vous ne m'aurez rien expliqué.

À peine j'eus prononcé ces mots, qu'elle me jeta des vêtements dessus.

- Enfilez ça.

Je m'exécutai avec mauvaise foi. Elle me scruta de la tête aux pieds d'un air pensif et s'exclama soudain :

- Mon dieu, vous ne passerez jamais inaperçue avec ces cheveux ! Je dois vous les couper!

- Non... Non... Sanglotai-je. Je vous en supplie pas mes cheveux... Dites à Annabel que sa farce est une réussite, mais... Je vous en supplie !

- Mais qu'est ce que vous racontez ? dit-elle en s'emparant d'une paire de ciseaux dorés. Avez-vous de la fièvre ? Vous délirez complètement, ce que vous dites n'a ni queue ni tête...

Elle donna un coup de ciseaux, et les mèches brunes tombèrent une par une, comme au ralenti. Elle continua à couper précautionneusement, mèche par mèche, jusqu'à ce que mes cheveux m'arrivent jusqu'au menton.
Elle s'attaqua ensuite à ma frange. En dégageant mon front, elle vit mon visage plein de larmes et s'attendrit.

- Allez, Annabel, ce ne sont que des cheveux, ils vont repousser ! Comme vous êtes jolie maintenant... Mon portrait craché !

- Mais... Je ne suis pas Annabel, gémis-je.

- Comment ça, vous n'êtes pas Annabel ? Regardez-vous dans le miroir.

Je me retournai et admirai mon reflet. La fille dans le miroir n'était pas moi. Je ne me reconnaissais pas. Je n'étais pas cette personne au teint pâle et aux yeux tristes, vêtue comme mon arrière grand-mère. Je passai ma main dans mes cheveux. Oh mes cheveux, mes pauvres cheveux! Je sentais comme un manque, mes épaules étaient si légères sans cette masse épaisse qui pesait dessus habituellement.

- Ça vous plaît? Dépêchons-nous de sortir maintenant, chuchota-t-elle en me prenant par le bras, sans même attendre ma réponse.

Elle tira le rideau carmin, découvrant une porte ornementée de motifs dorés. Elle l'ouvrit sans un bruit et me fit signe de la suivre dans l'escalier en colimaçon. Elle descendait les marches d'un pas si léger et rapide qu'elle semblait voler. Je la suivis en essayant de faire le moins de bruit possible. Arrivée en bas, elle glissa une clé dans une petite porte, et me fît sortir dans le jardin. Je me retournai, et compris pourquoi je ne l'avais jamais remarquée auparavant. Elle était si bien recouverte par le lierre que, à moins de connaître son existence, il était impossible de l'apercevoir.

- Venez, suivez-moi, Adam a déjà préparé la voiture.

Je me précipitai derrière elle, et nous montâmes dans une petite Alfa Roméo. Elle semblait si authentique que je commençai à douter. Annabel n'aurait jamais investi autant d'argent uniquement pour me faire une farce. Je me tournai et fixai ma voisine avec insistance.

- Clara, pour la dernière fois. Est-ce une farce ou non ?

- Pardon ? fit-elle. Je vais tout vous expliquer quand nous serons dans un endroit sûr.

La voiture démarra dans un grand crissement de pneus, nous emmenant loin de l'antique demeure.

Year in pastOù les histoires vivent. Découvrez maintenant