Chapitre 4

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Ils avaient eu la décence de l'escorter dans une pièce fermée à clé, sans ouverture sur l'extérieur hormis la porte. Mais au moins, elle ne se trouvait pas dans un cachot lugubre et humide, respirant une odeur nauséabonde. Cela n'avait pas été une expérience des plus plaisantes, surtout lorsque l'on est en capacité de s'échapper. Mais elle avait promis à Venn de se plier au jugement prononcé par le roi, car s'enfuir, c'était tout bonnement révéler la nature de ses entraînements et de ses talents. Elle avait donc subi cette humiliation en silence, ainsi qu'un châtiment injuste.

Eva se releva, les bras croisés sur sa poitrine, et contempla le mur d'un air absent. Au début, parce qu'il faisait nuit, elle n'avait rien vu. Mais un garde avait eu la délicatesse, au matin, de lui apporter de quoi se sustenter et s'éclairer. Il s'agissait d'un bougeoir avec assez de lumière pour qu'elle reste allumée environ une heure.

Elle approcha le bougeoir du mur et put contempler une fresque gigantesque, semblable à un arbre dont les branches entremêlées se regroupaient puis partaient dans un autre sens. A première vue, cela ne ressemblait à rien. Mais Eva perçut une certaine cohérence après quelques minutes à la contempler avec attention. Elle nota que neuf points distants encerclaient un seul et même blason, celui des Errivyn, la famille royale des Trois Cités.

Eva connaissait un peu son histoire. Venn disait toujours que connaître son passé permettait de ne pas reproduire les mêmes erreurs, et savoir quel était le chemin à emprunter. Même si l'être humain, par sa nature, était si apte à oublier.

Jadis il existait dix Lignées, comprenant la Lignée royale, mais aujourd'hui il n'en restait plus que six. Les Errivyn possédaient un pouvoir de suggestion. Même s'ils n'étaient que peu nombreux, ils étaient à la tête des Trois Cités depuis leurs ralliements en un seul et même territoire. Pourquoi plutôt eux que les autres ? Peut-être à cause de leur don qui permettait d'influer sur l'esprit et les décisions d'autrui.

Eva reconnut derechef le blason de sa propre Lignée, aux couleurs jaunes et dorées. Même si le pouvoir de lévitation semblait impressionnant, la plupart des gens ne parvenaient qu'à élever quelques objets anodins dans les airs, voire leur propre corps. Mais dans un combat contre une armée, peu avaient la capacité de soulever d'énormes rochers pour repousser l'ennemi. En dessus du blason royal, Eva reconnut celui des Varénéon. Elle sourit et comprit toute la représentation de cette fresque. Centrés autour d'une même Lignée, les Vestales au pouvoir de divination étaient assez puissantes et importantes pour surpasser l'autorité royale.

Elle eut plus de mal avec les trois autres Lignées, parce que la lueur de la bougie s'amenuisait. Les plus nombreux étaient les Narrassen, avec un pouvoir de guérison qui rendait prospère leurs commerces. Quant à la Lignée des Drakan et des Shyme, ils étaient peu nombreux et au service du roi. Les Drakan avaient quelques dispositions naturelles à la guerre, et constituaient la quasi-totalité des membres de l'armée. Les déviants étaient nés Drakan, mais choisissaient une voie qui leur était propre. Les Shyme, les métamorphes, possédaient le don le plus spectaculaire mais le plus rare. Une poignée de personnes l'étaient, tous les autres issus de cette Lignée étaient parfaitement banals.

Venn était né Drakan, et ses talents le prédestinaient à de hautes fonctions. Dans moins de deux ans, il allait être appelé à devenir maître, mais Eva soupçonnait que Venn aspirait à devenir déviant. Elle ne savait pas par quels procédés un homme obtenait ces étranges pouvoirs, et ce physique, mais cela avait quelque chose d'attrayant et de mystérieux. Un jour, elle aussi s'était demandé si elle aussi pouvait aspirer à cette fonction. Mais la réalité c'est que les Lignées n'aimaient pas se mélanger. Surtout ceux qui disposaient d'un pouvoir. Eva n'aurait jamais pu intégrer les rangs des Drakan, même si ses talents lui permettaient de devenir une déviante hors pair. Si elle avait été un homme, cela n'aurait rien changé à cette triste réalité.

Les sept LignéesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant