Hasard

23 6 1
                                    

Plic
Ploc
Un temps long où la goutte reste en suspend .
Plic
Ploc
Une autre goutte roule le long de mon visage.
Plic
Ploc
Je ne sais plus si c'est la pluie qui est tombée alors que je rentrais à pied.
Plic
Ploc
Ou mes larmes, qui coulent depuis que je me suis regardée dans mon miroir.

Ma mère tambourine sur ma porte. Des coups secs et doux à la fois. On peut faire ça. Ce sont des coups qui disent "Je t'aime, s'il te plaît" et " ouvre vite!". Chaque geste avec elle a une signification.

-Ivy! Sors de là s'il te plaît. J'aimerais qu'on parle, que s'est t'il passé ? Dis moi! Je peux peut être t'aider ? !

Je me reconcentre sur mon parquet inondé, et retourne à la contemplation de ces petites étoiles filantes faites d'eau.
Je n'aurais tellement pas du lui dire, lui montrer. J'aurais du dire que j'étais juste trop timide, que les gens ne m'aimaient pas. Tout mais pas la vérité. Maintenant, je vais retourner à ma vie quotidienne, sans lui. Tout ça, ce que je croyais avoir commencé avec lui a disparu, si j'avais su, je l'aurais ignoré sur la falaise, je n'aurais pas existé pour lui aussi. Ça aurait été mieux. Il est plus qu'un caprice de jeune fille. Je sens que c'est le bon. Mais le bon m'a rejetée.  Mes paupières couvrent peu à peu mes yeux gonflés. L'estomac tordu de remords, je m'endors.

Depuis mon réveil, je me sens déchirée à l'intérieur. Une envie de vomir m'empêche d'absorber une quelconque substance. Je revois sans cesse, le moment où je me suis retournée et ai découvert qu'il était parti. Je m'imagine à chaque fois les différentes réactions qu'il a pu avoir, ce qu'il a pu penser ou l'expression de son visage. L'envie d'aller me promener me vient subitement. J'attends que ma mère parte au travail pour sortir de ma chambre sans la croiser et subir ses questions. Je quitte alors mon antre juste avant d'imploser . Une fois dehors, je commence à marcher, vidée de la moindre pensée, sans but précis et passe de magasin en magasin, sans jamais m'attarder sur des articles. J' erre comme ça toute la matinée, jusqu'à avoir envie de me rendre là où tout avait commencé. Dans le but de tout revivre, même si quelques jours ne sont pas difficiles à ressasser, et pour "tourner" la page, je continue la torture pour mes pieds vers la falaise.

Après trois heures vingt six de marche, j'arrive enfin à quelques mètres du lieu dit. L'air est frais, la mer est calme. Le léger vent fait tourbillonner mes cheveux autour de mon visage. Je monte la dernière côte de ma randonnée et atteints la corniche. Alors que je lève les yeux du sol graveleux, mon coeur rate littéralement un battement. Mes pieds s'arrêtent, un long nuage de vapeur d'eau sort de ma bouche, le désespoir m'enveloppe,mon coeur me fait mal, les larmes me piquent les yeux. Il est là.

Posé sur sa moto, blouson noir sur le dos, Zach, une cigarette entre les lèvres regarde l'immensité bleue. Je n'ai aucune envie de lui faire face, mes larmes coulent déjà, tant il m'a blessée. Je me retourne et rebrousse chemin. Il ne m'a pas entendue, c'est mieux comme ça. Je me fiche de la douleur dans mes pieds, je veux juste ne pas être là où je suis actuellement. Il est la dernière personne que j'ai envie de voir. Mes yeux sont assez gonflés comme ça. Une fois sur le bitume de la route côtière, mon portable sonne. Sûrement ma mère qui veut savoir si je suis sortie de ma grotte. L'écran me révèle que c'est Zach qui cherche à me contacter. D'abord bloquée, je réalise que la sonnerie est assez forte, je m'empresse de raccrocher avec la crainte qu'il ait entendu de là où il est. Je me mets alors à guetter le moindre bruit, le moindre mouvement qui pourrait être suspect. C'est assez fou comme nos sens sont amplifiés lorsqu'on a peur ou que l'on appréhende quelque chose.
Toujours sur le qui vive, j'avance de quelques pas avant de remarquer du mouvement du côté d'où je viens. Zach arrive.
Je pars au quart de tour et me mets à courir, comme je n'ai jamais couru. Aussi vite que possible. Je sens mes cheveux onduler au gré de mes mouvements saccadés. En pleine descente, ma vitesse et mes sensations sont décuplées. Je me transforme en animal fuyant au péril de sa vie, un ennemi trop puissant. Mes jambes foulent le sol, mes bras m'équilibrent, mes pieds encaissent les chocs et mon coeur accélère.

J'entends ses pas derrière moi, sa respiration mélangée à mon prénom qu'il répète à plusieurs reprises. Il va me rattraper. Je sens l'air me gifler. Il est sur moi, il va m'attraper et me poser des questions, me regarder comme une folle ou comme un animal de laboratoire. Je préfère ne pas exister pour lui.

Alors que j'entrevois sa main se tendre vers moi, mon coeur se serre violemment, un souffle inverse me pousse vers l'arrière et me projette au sol. Une sensation de manque me coupe le souffle. Ma vue se trouble. Je tâtonne, paniquée, le sol autour de moi.
Ma respiration se calme tout doucement, je reprends petit à petit possession de moi même. Je me suis écorchée les paumes de mains, le coude droit et mes hanches me font mal. J'entends encore mon coeur dans mes tempes quand la question me vient à l'esprit.
Pourquoi Zach ne m'a t'il pas attrapée ?
Je regarde alors autour, pas de voiture, personne dans les parages, juste moi et Zach à quelques mètres, reprenant sa respiration. D'abord soutenu par ses mains sur ses genoux, il se redresse et regarde dans ma direction. Il fronce les sourcils et revient sur ses pas, c'est à dire, vers moi. Il arrive presque à mon niveau, contemple la paroi rocheuse qui longe la route. C'est un mur parfait, sans aucune perforation et donc aucune échappatoire. Zach piétine, tourne en rond mais ne fait pas attention à moi, toujours agenouillée parterre. Je murmure un "Zach" mais il ne réagit pas. Il commence à s'énerver.

-Punaise, c'est quoi ce bordel?!

Je sens alors ma tête lourde, et m'évanouis, engloutie par le noir de mes paupières.

invisibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant