Demain

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La sonnerie de la petite maison  blanche signale ma présence.  Je me suis préparé toute la matinée, à affronter la mère de Ivy . L'adresse que m'a donné Charlie désignait une maison au petit jardin, dans un lotissement où tout se ressemble.
La porte finit par s'ouvrir sur une femme d'une quarantaine d'années, brune et dont le visage reflète la déception.

-Bonjour Madame. Je m'appelle Zach et je suis un ami de Ivy. Êtes vous occupée?

Sans répondre, la petite femme brune me tire à l'intérieur de la maison et ferme la porte. Le hall d'entrée est rempli de photos et un escalier indique la  présence d'un second étage. Une odeur de fromage fondu flotte dans l'air.
Sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit, elle m'invite à m'asseoir sur le canapé et se poste juste en face, dans un majestueux fauteuil, sous un plaid. Ainsi entourée de tant de tissus, la mère Ivy fait fragile et on sent qu'elle n'est pas forte physiquement.
Je m'apprête à prendre la parole quand sa voix, grave mais basse, me demande calmement et ce, malgré l'inquiétude que je lis dans sur son visage.

-Tu arrives à voir ma fille?

-Oui madame.

- Appelle moi Lucy. Et toi c'est Zach, c'est ça ?

-Oui.

Je lui souris gentilement, il y a  une ressemblance assez flagrante entre Ivy et elle. Un court silence s'ensuit.

-Zach, je m'inquiète. Ivy n'est pas rentrée cette nuit. Elle n'était vraiment pas bien hier soir, j'ai failli ne pas sortir travailler tant je m'inquiétais pour elle. Saurais tu où elle peut être ?

J'ai bien peur de savoir pourquoi elle n'allait pas bien. Et encore plus, honte d'en être la cause.

-Je suis désolé mais non. Justement, ses amies Charlie et Milena m'ont envoyée ici, parce qu'il semblerait que je sois la dernière personne à l'avoir vue.

-C'est à dire? Quand ça ?  Où ?  Elle était seule? Elle allait bien?

Une montagne de questions de mère inquiète m'assaille.

- Mada... Lucy. Excusez moi, mais vous devriez rester calme. Je vais vous répondre.

Après lui avoir raconté les deux derniers jours, en omettant certains détails, je fais face à un concentré de colère,  de tristesse,  de stress et beaucoup d'autres émotions.

- Pourquoi avoir réagi ainsi? C'est le départ de tout son malheur.

-Je sais bien que j'ai mal agi, mais comment auriez vous réagi à ma place? C'était un aveu qui bouleversait et bouleverse toujours toutes mes "croyances", mes acquis. Et comment peut on être invisible ! ? Même en l'ayant vue, j'ai toujours du mal à l'envisager.

Un silence me répond. Lucy se lève et part dans une autre pièce,  la cuisine sûrement.
Toujours concentré sur l'objectif de comprendre, je la suis.
Elle finit par me répondre, dos à moi, occupée à couper des légumes.

-Zach, comme pour le moment tu es le seul homme qui la voit, je vais te dire pourquoi et comment ma fille est devenue invisible. Mais pour ça, tu vas avoir besoin de temps alors, prends les assiettes et les verres dans le placard en haut à gauche et mets la table... S'il te plaît.

Après avoir été servi, une fois Lucy installée près de moi, cette dernière commence son récit.

-Il y a... Quand mon mari, le père d'Ivy a eu son accident de voiture, ma fille se trouvait dans le véhicule. Ils revenaient tous les deux d'une visite du nouvel aquarium. Sur un croisement, un camion les a percutés... parce que le chauffeur était sur son portable. Mon mari est mort sur le coup, mais Ivy est restée éveillée plusieurs minutes d'après les témoins. Elle était coincée dans la carcasse de la voiture, couverte de sang, à appeler son père. Quand les urgences sont arrivées et qu'ils ont délogé ma fille, elle était inconsciente et ne s'est plus jamais réveillée depuis.

-Je suis désolé pour votre mari,  sincèrement mais je ne comprends pas une chose. Pourquoi dites vous qu'Ivy ne s'est jamais réveillée ?  Elle était là,  il y a à peine 24 heures.

Le son de la trotteuse de l'horloge résonne dans la pièce et me stresse.

- Quand les médecins m'ont permis de voir ma fille à l'hôpital, ils m'ont dit qu'elle ne se réveillerait pas tout de suite à cause du choc. Mais plus on attendait et plus l'espoir qu'elle sorte de cette espèce de coma devenait faible. En fin de compte, des spécialistes sont venus voir son cas. Ivy n'avait aucun traumatisme physique, aucune lésion. Tout semblait venir de son esprit. Les médecins m'ont raconté que l'esprit jeune de ma fille avait été tellement choqué, qu'il se protégeait en l'empêchant de se réveiller.

-En gros, ils n'en savaient rien.

- C'est ce que je me suis dis. Pendant un moment, ils voulaient la débrancher, mais elle continuait de grandir et ressemblait plus à la belle au bois dormant qu'à une morte en service de réanimation.

-Mais si elle est dans le coma, qui est la Ivy que j'ai fréquentée?

- Attends cinq minutes, ça fait beaucoup de mauvais souvenirs. Tu veux un thé ?  Un café ?

La rupture soudaine dans la conversation me prend de court et je mets du temps à répondre.

-Non rien. Merci.

Lucy qui s'était déjà levée, se rassit et reprit son récit.

-La première fois que Ivy m'est apparue, j'étais malade. On venait de m'annoncer que j'étais et  suis atteinte d'une maladie incurable, je pleurais toutes les larmes qu'il me restait. Et à travers le voile de mes cils, j'ai vu Ivy, qui me souriait, me disait que ce n'était rien et elle m'a même pris dans ses bras. C'était 5 ans après l'accident. J'ai d'abord cru être folle. Mais plus ça allait et plus, elle apparaissait pour finalement ne plus disparaître. J'ai pensé consulter, mais le jour où elle est revenue avec ses deux amies,  Charlie et Milena... J'ai su que je n'étais pas folle. Depuis, je vis avec elle en lui cachant que son corps est toujours à l'hôpital. Elle ne se souvient pas d'avant l'accident et pense avoir toujours été invisible.

-Mais comment expliquez vous le fait qu'on puisse la voir, la sentir ou la toucher ?

-Je ne sais pas Zach. J'ai tendance à me dire qu'elle n'apparaît que quand les personnes sont celles qui ont et auront toujours une place dans son coeur.

-Mais, et moi? Elle ne me connaissait pas et je la voyais.

-Peut être a tu le don de croire en ce que tu ne vois pas. En ce qui est beau. En ce qui compte.

Je reste assez abasourdi devant tant de révélations. Comme elle le disait plus tôt,  beaucoup d'informations en peu de temps. J'ai besoin de souffler. Je me lève, débarrasse et salue la mère d'Ivy. Alors que je me dirige vers la porte d'entrée, Lucy me lance.

-Zach !  Demain, je me rends à l'hôpital. Si tu veux la voir, je pars de chez moi à 11h pour arriver vers 12h 30.

Je ne réponds pas et quitte la maison. J'enfourche ma moto et pars en direction de mon hôtel.  J'ai vraiment besoin de dormir.

invisibleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant