Chapitre 3 : Éveil

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Il a beaucoup d'avance sur moi, c'est normal, la forêt est son terrain de jeu. Omnibulée par la vitesse de mon rival, je m'essouffle rapidement, ma vision se trouble. Les battements de mon cœur sont un peu trop fort à mon goût, je ralentit.

À deux doigts de m'arrêter, je réalise soudain que les arbres me barrant le passage me forcent a rester constamment en éveil, que les tâches floues sur leurs cimes sont les écureuils qui m'encouragent, et que le tapis de feuilles au sol amorti mes enjambées. Je réalise que le vent me souffle d'avancer. La forêt me prête sa force.

J'en ai marre, j'enlève mes chaussures frénétiquement et les balance dans mon sillon.

Pieds nus, je sens.
Je sens les vibrations de la terre.
Je sens les feuilles.
Je sens les racines.
Je sens le soleil, je sens le vent.
Je sens le liquide qui coule dans mes veines.

Et j'oublie.
Les voitures.
Les immeubles.
Les machines.
Le monde.
La ville.

Juste moi.
Les arbres.
La forêt.
La liberté.
Et l'odeur de la vie.

Je cours. Je cours sans m'arrêter, dans un état second, filant à toute allure. Je ne pense à rien, avec l'impression d'être vivante pour de bon. Emplie d'une nouvelle énergie, rien ne semble pouvoir m'arrêter.

Jusqu'à que je le voit. Il cours à côté de moi. Je lui sourit, il me le rend.

Nous continuons de courir ainsi pendant quelques kilomètres, en revanche je n'ai pas perdu l'objectif de cette course. À mon tour d'afficher un sourire narquois. Je prend le transformiste de court et lui saute dessus.

-      « Yaaaaahaaa !! »

La vitesse nous oblige à rouler-bouler sur plusieurs mètres. Je me retrouve à califourchon sur lui, le plaquant au sol. Le fuyard est complètement maîtrisé.

-       « Attrapé ! Dis-je fièrement

-         Bien joué » répondit-il enthousiaste

Le visage en dessous du mien, nos regards se croisent.
La respiration encore haletante, on s'observe mutuellement, ses yeux intensément plongés dans les miens.
Surprise, mes mains dérapent. Je tombe sur lui, le visage collé au sien.
Les yeux ronds, ses joues deviennent rouges.
Je me lève en hâte, les pommettes cramoisies, et lui tourne le dos tout en laissant échapper un "désolé" nerveux.

Finalement, je lui tend la main pour qu'il se remette debout.

-         « Ahem, bon passons à la suite, fit le jeune homme encore un peu gêné, j'avais prévu de te faire une visite guidée du sanctuaire.

-          ...

-           Est ce que le proverbe "qui ne dit rien consent" s'applique à mademoiselle ? réplique t- il d'un air à la fois sarcastique, agacé et intrigué

-            Je ne connais même pas ton nom, difficile de te faire totalement confiance. Affirmai-je, catégorique »

Surpris, il me fixe comme si je venais de lui étaler la théorie du Big bang. Puis, il se détend et se met à pouffer.

-           « Si ce n'est que ça ! Appelle moi comme tu veux, je n'ai pas de vrai nom. Ici je suis seulement Renard.

-            Ah...Quelle originalité... Bon, on va tenter de combler ce cruel manque d'inspiration et te trouver une véritable appellation »

Je me met à réfléchir sur ce qu'il m'inspire et sur ce que j'ai pu observer.

-        « Que penses tu de "Thenlan" ? En langue elfique ça signifie "seigneur de la forêt".

Encore une fois, j'assiste à un festival d'émotion venant du jeune renard. Il passe de l'étonnement à une légère mélancolie et fait un détour par la joie ultime. Tout ça en essayant de le cacher (un peu maladroitement).

-         « Ça me plaît. Merci beaucoup Nelunn, fait-il avec les yeux humides, trahissant une immense joie et une gratitude infinie.

-          Mais de rien. Au fait, je parie que ce sont les écureuils qui t'ont cafté mon nom, je me trompe ?

-        Excellente question, qui te dit que je ne lis pas dans les pensées, princesse ? répond l'intéressé de son éternel air taquin.

-        Je prend ça pour un oui. En revanche si tu m'appelles encore une fois "princesse", je crie aux écureuils que tu leur cache délibérément tout un stock de gland.

-       Ok Ok, je capitule, je ne supporterai pas l'armée de rongeurs plus de trois jours ! Ils deviennent extrêmement bornés quand il s'agit de nourriture. soupire t-il comme si c'était la pire chose du monde.

-       Finalement, j'ai presque pitié...»

On se regarde... et on éclate de rire ! J'espère vraiment qu'ils ne nous ont pas entendu là haut.

La Sphère VégétaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant