Chapitre 5 : Passé

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Tout mon univers est altéré. Les mots de Thenlan filent comme une flèche et me transpercent, laissant sur le sol la marque invisible de ma douleur.

- « Tu n'était pas seule Nelunn.»

- « Était ? »

Le jeune renard me regarde avec une once de tristesse dans le regard.

- « Oui...»

Il n'est pas un messager qui voyage dans le temps. Il n'est pas chargé de me raconter le comment du pourquoi à moi précisément. C'est le peuple zoomorphien tout entier qui doit aider les "OGM".
Être résistante à l'emprise de cette ombre... Est-ce un cadeau offert par la médecine ?
Pas vraiment.
Il paraît que nous étions des centaines génétiquement modifiés.

- « Super... je suis seule, mais pas trop quand même c'est ça ?

- Je ne l'aurais pas exprimé de  cette façon mais l'idée est là. »

Je hausse un sourcil. Thenlan reprend :

- « Tu l'as compris, tu n'es pas la première elfe mutante : tu es la dernière. »

Je me lève et m'exclame alors d'un air théâtral :

- « Le diagnostique du Dr. Thenlan est tombé ! Nelunn, tu es fichue ! Le destin de.... De quoi au juste ? La planète ? L'univers ? Ces pauvres sanctuaires ? On ne sait pas. En tout cas cela repose sur tes petites épaules !
Comment ? Tu aspirais à une vie plus ou moins normale ? Loupé cocotte ! Ton code ADN n'est ni repris ni échangé. »

- Tu me fascine et m'exaspère en même temps.

- J'ai le droit d'être désespérée, non ? Pendant des années j'ai été la seule de mon espèce ! En retrouvant ce sanctuaire laissé par mes ancêtres, je pensais mettre fin à ces décennies de solitude, l'espoir était revenu. Et voilà que j'apprends que ma race mourra avec moi ! 

- Je comprends ce que tu ressens Nelunn, mais essaie de...»

C'en est trop, je le coupe dans sa phrase :

- « Non tu ne comprends pas ! Comment le pourrais-tu !? T'as toujours été peinard, dans ta belle forêt, à rabâcher la même histoire aux elfes qui passaient ! Moi j'ai toujours été seule au monde ! Qu'est ce que tu comprends !?

- TAIS TOI ! TU NE SAIS RIEN !»

Il l'avait crié avec tant de rage et de consternation que ma colère avait disparue d'un coup.
Les yeux voilés, il repris plus calmement :

- Tu ne sais rien. Tu ignore autant ton passé que le mien. Arrête de blâmer les autres sans savoir de quoi tu parles.
Qui te dit que j'ai été peinard ?
J'ai vu mon peuple et le tien entièrement avalés par l'obscurité. J'ai vu nombre d'elfes comme toi abandonner, fuir, se laisser mourrir ou encore sombrer dans la folie par peur de la nuit. Car le pire, c'est la nuit. Tu ne vois pas avancer l'ombre. Elle peut t'engloutir n'importe quand, sans répit. Moi j'ai vécu avec cette angoisse permanente qui te piège et te fais sombrer petit à petit, inlassablement. Ma race autant que la tienne est menacée. Comme toi, je suis le dernier.
Tu as toujours vécu dans la solitude ? Moi je l'ai vue arriver et j'ai dû l'affronter sans y être préparé »

Je n'avais pas mesuré le poids de mes paroles, ni même imaginé ce qui avait pu se passer avant mon arrivée. Il n'avait pas l'air de supporter un tel passé. La vie ne fait pas de cadeau, et c'est universel. J'aurais dû y songer plus tôt. J'ai honte de ma colère démesurée.

- « Ce n'est pas par choix que je te raconte tout ça, c'est par nécessité.

- Je suis désolée, je n'aurais pas dû m'énerver contre toi.

- C'est pas grave, je peux comprendre que tu sois à cran après tout ça. »

Le voile sur son regard s'éclaircit et disparaît, je retrouve les pupilles lumineuses du renard qui m'avait accueillie. Moi aussi je me sens plus sereine après avoir dit ce que j'avais sur le cœur. Finalement, deux personnes qui partagent le sentiment d'être seul ne le sont plus vraiment.

La Sphère VégétaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant