Chapitre 8 : Veni vidi vixi... ou presque

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Peu après, consciente que cette maigre collation n'allait pas suffire à calmer les cris de mon estomac, je demande à Thenlan si ces fruits constitueraient tous nos repas.

- « Bien sûr que non, me répond t-il, mais vu ta réaction tout à l'heure, j'hésite à t'apprendre la chasse.

- Je ne m'évanouirai pas à la vue du sang, c'est déjà ça. Et puis si tu refuses de m'apprendre, je peux me débrouiller sans toi.

- Calme ta fougue jeune étalon ! Je ne vais pas te laisser faire n'importe quoi dans la forêt. Il y a tout un protocole à respecter dont tu ignore le sens même. Mais avant la théorie, il te faut des armes. Attend moi là, je reviens. »

Et sur ces belles paroles il s'enfonce dans les abîmes du sous-bois.

Il revient avec une panoplie d'arcs, de flèches, de sabres, de pistolets, de dagues, de haches, et bien d'autres articles guerrier ornés du sceau elfique

- « Choisi ton camp, camarade, fait Thenlan en balayant de la main les armes étalées par terre. »

Je prend une dague, sa lame lumineuse dégage quelque chose de mystique. J'y ajoute une arbalète sous les conseils (ou le harcèlement ) du renard, suggérant de prendre au moins une arme de distance.
Thenlan se contente d'un unique boomerang trilame, prônant sa rapidité et son efficacité pour le combat rapproché comme pour le combat à distance. Ça ne l'a pas empêché d'attraper juste après, en cachette, un petit pistolet. S'il croit que je ne l'ai pas vu...

Pour sûr, je manque d'entraînement à l'arbalète. Le renard voulait " jauger ma précision au tir " en me demandant de transpercer une cible en tissu carbone. Mes flèches laser n'ont touché qu'une seule fois leur cible. Quelques mois d'exercices supplémentaires sont nécessaires. En revanche je l'ai découpé parfaitement avec la dague. J'avoue préférer le combat rapproché.

- « Pour cette fois c'est moi qui immobiliserai l'animal. Tu l'achèveras avec ton poignard » conclue donc Thenlan

J'ai ensuite droit à un cours sur la manière d'achever une proie en bonne et due forme. Le professeur renard est très perfectionniste. Ce fut trois heures de supplice à répéter les mêmes mouvement et les mêmes incantations.

Les elfes avaient pour coutume de remercier l'animal qu'ils tuaient. Il y avait tout un protocole avec une sorte de prière finale.
La vie n'était pas un sujet sur lequel on pouvait plaisanter. Le peuple elfique s'assurait de la respecter et de ne jamais abuser de la chasse et de la pêche. Connectés à la nature, ils ressententaient la douleur des animaux. Une douleur communicative.

En clair, lorsque tu es un elfe, les termes "chasser par plaisir " et "masochisme" sont synonymes.

La majorité des habitants pensait que tuer dans un autre contexte que pour se nourrir était un crime très grave.

Thenlan est lui-même très strict à ce sujet. Enfant, il avait assisté à un massacre au cours duquel une personne de son peuple avait révélé une extrême férocité et un certain plaisir. Depuis, il ne permet pas d'écart sur les méthodes de chasse.
Il paraît aussi que son mentor était un elfe. De quoi éradiquer l'idée de tuer inutilement.

Mais à bas la théorie, place à la pratique. Pas à pas dans la forêt, c'est un grand cerf que nous poursuivons.

La clef, c'est de le prendre par surprise et rester discret pour dépenser le moins d'énergie inutile en lui courant après.
Il faut appréhender les éléments et les utiliser à notre avantage.
Thenlan me fait signe et on se place de sorte à ce que le vent souffle face à nous. Ainsi, il y a moins de risques qu'il nous entende.
L'ombre est importante aussi, il faut faire attention à ce que l'animal ne l'a voit pas.

On furette à bonne distance derrière le cerf en faisant attention à ne pas marcher sur la moindre brindille qui craque ou la moindre feuille trop sèche. Tout les sens sont en éveil, la concentration est optimale.

Jusqu'ici tout va bien, l'animal n'a absolument pas senti notre présence.

- « Tu te débrouilles plutôt bien, constate le zoomorphien en chuchotant. »

Comme si une force extérieure souhaitait absolument le contredire, je trébuche sur une racine et m'applati lamentablement face contre terre. Le bruit de ma chute raisonne dans toute la forêt.
C'était trop beau...

L'effet de surprise n'est pas râté, notre dîner détale sans demander son reste. Thenlan, non sans me montrer son exaspération, prend alors les devants et lance son boomerang d'une habileté impressionnante. Aussi furtif qu'un renard, le trilame effectue une courbe grandiose et taillade le thorax du cerf. Le boomerang reviens ensuite à son propriétaire sans que celui-ci ait besoin de bouger.

L'animal s'écroule en se vidant de son sang. Je me relève de ma chute en hâte, m'agenouille près de lui et plante ma lame dans sa jugulaire, le remerciant dans une prière : 

- « Ego gratias ago tibi, pecus potens Gaia. Nunc cursus orci vitae magna hostia. »

J'observe un peu plus la scène. Le sang à giclé jusque sur mes mains. On dirait que j'ai enfilé des gants. En revanche le flux à cessé. Je remarque l'horrible entaille, perlée de rouge, faite par le boomerang. Elle est incroyablement précise. Thenlan a visé un organe vital et ne l'a pas raté.
Une preuve de son expérience en tant que chasseur.

Je tiens encore le manche de la dague qui est coincée. Je dois m'appuyer sur le cerf pour pouvoir retirer la lame.
C'est un déluge écarlate.

J'affirme officiellement que je n'ai plus faim.

Les plaintes du cerf ayant cessé, un silence froid règne désormais dans la forêt.

Thenlan brise ce silence :

- « Tu l'as bien tué. Sans hésitation, tu peux être fière de toi.  »

Alors, pourquoi ces larmes sur mes joues ?

La Sphère VégétaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant