Chapitre 13 : Interdimensions

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Plic... Plic... Plic...

Il fait sombre. Je crois avoir perdu la connexion avec moi-même un petit moment. Combien de temps ? Hum... mystère. Tout est encore flou, intangible. J'ai les yeux clos, j'ai l'impression que ma conscience s'éveille au rythme d'un vieil ordinateur poussiéreux. Mais...suis-je en vie ? Ma poitrine se soulève. J'entends ma respiration. Aaah...J'ai un de ces mal de dos...! On va supposer que je suis en vie.

C'est avec une certaine difficulté que mes paupières s'entrouvrent. Mes membres sont engourdis, mon esprit est de brume. Les images se mélangent. Que s'est-il passé ? Sortie de ma torpeur visuelle, j'essaie de me relever. J'ai l'impression d'avoir pris 20 ans d'un coup : mes articulations couinent, je suis prise de vertiges... Pourquoi changer de position est si douloureux ?

Ma vision devient plus nette et je retrouve peu à peu ma vivacité.
Bien, observons un peu le décor maintenant.

« Ah... Une boite. »

Je suis dans une boite. Quatre murs, une couleur blanche presque aveuglante. Et quel silence... L'atmosphère est apaisante. J'imagine sans mal un maigre barbu venir méditer ici.

Plic... Plic... Plic...

Je lève la tête. Un plafond aquatique me surplombe. Limpide, il me rappelle vaguement quelque chose... Non loin sur ma gauche une coupelle en lévitation, blanche elle aussi, est remplie à ras bord mais ne semble jamais pouvoir déborder. Une goutte d'eau tombe dedans, régulièrement, dans un tic tac incessant rappelant celui des secondes.

Étrange sensation que celle sous mes jambes parce que justement, je ne sens rien ! Enfin, je n'ai pas l'impression d'être assise sur quelque chose même si ma position me le fait penser. Je n'ai peut-être pas les idées encore assez claires... Je me penche et examine mon "trône" en détail... Il n'existe pas !

il n'y en a pas, je flotte. Comme la coupelle...

En promenant mon regard, je m'aperçois qu'un dispositif en forme de cône est placé de part et d'autre de mon corps. Encastrés dans des murs diamétralement opposés, un cône est à mes pieds tandis que l'autre est dans mon dos. Les bases de ces solides sont orientés vers moi et une faible lueur bleue s'émane d'eux. On dirait qu'une force magnétique circule. Je ne peux l'affirmer avec certitude mais cette installation est peut-être ce qui me tient en lévitation.

Je décide de me lever. Pas facile quand le seul appui qu'on possède est un champ magnétique ! Employant toute la volonté du monde, je réussi à me détacher de mon sarcophage anti-gravitationnel et pose promptement mes pieds à même le sol.
L'aspect vitreux de celui-ci projette une ombre informe qui se meut dans de faibles ondulations.

Doucement, j'entame un premier pas. Le sang s'est mis à circuler d'un coup, je dois avoir une démarche de canard bourré...
Aucune porte à l'horizon. Mais alors, comment suis-je entrée ? Je fais glisser mes mains le long des murs immaculés, en vain. Je retourne alors entre les deux cônes bleutés pour tenter de m'asseoir quand tout à coup un trou rectangulaire apparaît dans le mur face à moi, sans un bruit. Une brise chaude ébourriffe mes cheveux.
Un long couloir aux parois ridées de chutes d'eau perpétuelles s'étend devant moi. Le sol est de verre, des poissons aussi colorés que dans mes holo-livres zigzaguent sous mes pieds. Puis, un escalier s'achemine vers le ciel azuré. Enfin.
Je ne tiens plus. Inspirant un bon coup, je gravis ces marches quatre à quatre. Ma respiration se bloque arrivée au sommet de l'escalier.
Des ruines. Encore. A perte de vue. Les bâtiments, émiettés, se désagrègent, et leur morceaux semblables à des pièces de puzzle en trois dimensions flottent dans les airs. D'autres sifflent, tombent et s'entrechoquent, créant des ondes de poussière dans un vacarme assourdissant. La couleur céleste s'éteint, se ternit dans des nuances cramoisies. Elle s'effrite aussi, autant de tonnes de pixels bleu emportés par le vent. Le plus effrayant, c'est l'absence de vie. Ce ballet aux allures mécaniques me fait penser à un coffre à jouets détraqués, sans dessus dessous. Adieu les lois élémentaires. Plus rien n'a de sens.
Impossible pour moi de continuer, le vide après l'escalier m'en dissuade nettement. L'angoisse me prend à la poitrine. Est-ce là tout ce qu'il reste de mon peuple ? J'en transpire de solitude.
La peur et l'incompréhension me figent. Je reste là, tremblante de stupeur devant ce décor surnaturel. Je ne peux qu'imaginer les millions d'hommes, de femmes et d'enfants en train de voler en poussière, se consummant sans raison, à l'image du ciel. J'imagine le sol se déchirer sous leur pieds, de grandes fissures indomptables découpant, comme de puissantes mâchoires autant le sol que les vies, sans pitié. Un tressaillement plus fort me parcours l'échine.
Reculant peu à peu, je m'éloigne, toujours ébahie. Ma conscience me crie de fuir, me hurle de prendre mes jambes à mon coup. J'ai envie d'éclater tant le désespoir me compresse ! Mais les sons se coincent dans ma gorge. Tout se bloque.
Alors lentement, je me tourne. Il faut effacer cette image de mon esprit.
C'est la fin du monde.
L'effort surhumain qu'il me faut pour courir me semble infime par rapport à celui qu'il faut pour m'arrêter. Le couloir et les poissons ne sont que des tâches. J'aboutis rapidement à la salle d'où je suis partie.
Je panique et j'essaie de trouver un moyen de repartir, mais mes mouvements sont désordonnés. Le plafond aquatique vient alors se planter dans ma rétine. Je stoppe mes gesticulations frénétiques et un éclair traverse mon esprit.

« Par là. »

Je me hisse sur le champ magnétique et m'étend dans toute ma longueur. À peine un effleurement de doigt et je me retrouve aspirée toute entière par le liquide.
C'était chaud, c'était froid. Une douloureuse douceur qui enveloppe, emplit et embrasse tout mon être. Je ne sais pas si je bouge, si je suis statique. Mon univers est noir comme la nuit. Ma conscience paraît inconsciente, et vice-versa. Je suis tout, je ne suis rien. Un battement, ou un grain de sable. Le temps se perd comme mon corps.

« Kof kof kof ! »

Me voilà étendue sur une petite plateforme en demi-cercle, épousant la surface d'un liquide bleuté qui occupe tout mon champ visuel.

« Kof ! Kof !... J'ai dû boire la tasse. Kof ! »

La partie droite de ma plateforme est collée à un mur digne des plus grandes montagnes. Des fentes en forme de rectangle sont alignées sur la paroi de façon à imiter l'aspect d'une échelle. Il y a une prise juste assez large pour mes pieds. L'ascension promet d'être longue....mais pas impossible !

«Allez cocotte, fait travailler tes bras !»

Depuis les hauteurs, la moitié du mur étant déjà bien avalée, je reconnais les jardins de l'entrée du sanctuaire. L'aspect cylindrique corrobore mon idée et mon souvenir.
L'entrée est donc la même que la sortie. Et elle se trouve en bas, dans cet amalgame de molécules d'H2O, couramment appelé "Eau". Bien que maintenant je doute que ce soit vraiment de l'eau.
Le sommet n'est plus très loin, en deux mouvements de bras et de jambes je suis sur  mon balcon elfique. La sortie m'appelle. J'entends comme un écho au loin. Je m'enfonce alors dans la pénombre du corridor avec la même motivation qu'en y rentrant. Est-ce la silhouette du renard au bout là bas ?

La Sphère VégétaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant