Chapitre III

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Sillonnant d'un pas pressé les couloirs sombres et froids du bâtiment qui lui servait de quartier général, l'homme réajustait les gants en cuir à ses poignets dans un geste témoignant de la nervosité qui l'emplissait. Il bifurqua à un croisement semblable à tous ceux qu'il avait traversés jusque là, on pouvait d'ailleurs être en droit de se demander comment il réussissait l'exploit de retrouver son chemin dans ce labyrinthe semblant sans fin. Il pénétra finalement dans une salle où semblaient se dérouler des réunions en comité réduit, et alla s'installer sur le siège trônant au bout d'une table en bois massif, qui semblait n'attendre que lui. Posant les mains à plat sur la table d'un geste violent, il s'apprêta à prendre la parole d'une voix forte.

_ La situation devient compliquée, commença-t-il sans plus de cérémonie. Mes agents ont perdu la trace des filles, et elles doivent en ce moment même être en route pour le Manoir De Sarria. Si elles parviennent à rencontrer le comte, les conséquences de leurs découvertes pourraient être très néfastes pour notre entreprise. Si jamais notre erreur parvient à s'ébruiter aux oreilles du gouvernement, je ne donne pas cher de notre peau. Il est dans notre devoir de les arrêter.

Son monologue achevé, il releva la tête vers ses associés, représentés uniquement par quatre hommes qui l'avaient écouté attentivement sans songer une seule seconde à l'interrompre. Le doute n'était plus possible, cet homme tirait bel et bien les ficelles de l'organisation à l'allure de plus en plus sombre et mystérieuse. Comprenant que son supérieur attendait une réponse et des propositions, une personne positionnée à sa gauche se jeta à l'eau avec une voix témoignant de tout le respect qu'il portait à son interlocuteur.

_ Monsieur, peut-être que cette fille, Esi, souhaite tout simplement rendre visite à sa famille qu'elle n'a jamais eu l'occasion de voir, et ne se doute aucunement de tout ce qu'elle peut cacher... Le comte connaît les risques de la divulgation de cette affaire, il est assez intelligent pour ne rien lui révéler à son sujet.

Cette intervention ne sembla pas plaire au grand brun auquel elle s'adressait, au vu de ses poings s'étant resserrés progressivement et de sa mâchoire contractée au possible. Il inspira et expira profondément, sans doute pour conserver son calme, avant de répondre à son subordonné d'une voix glaciale et hachée par la colère qui l'envahissait.

_ Julien, comment peux-tu être aussi naïf ? Penses-tu réellement que cette fille aurait parcouru des milliers de kilomètres, dans le seul but de passer de petites vacances agréables auprès de sa famille et du piment d'Espelette ?! C'est ridicule. Bon sang, qui m'a donné des abrutis pareils comme associés ?! Est-ce que quelqu'un dans cette salle peut me proposer quelque chose de censé ?!

Ledit Julien, un blond cendré de taille moyenne à la mâchoire carrée, se recroquevilla dans son fauteuil, bien décidé à ne plus prendre la parole de toute la séance s'il tenait à sa vie. Il le savait pertinemment, Giovanni n'hésiterait pas une seule seconde à dégainer son arme et à l'appliquer sur sa tempe moite s'il disait ne serait-ce qu'encore un seul mot de travers. Mieux valait donc pour lui faire profil bas, au moins le temps que son chef calme ses pulsions. Il observa alors sa collègue, une petite brune aux cheveux coupés en carré et répondant au nom de Marla, tenter à son tour de donner une solution au problème qui se posait. Sous ses airs inoffensifs, le blond était tout à fait conscient du danger que cette femme pouvait représenter pour leurs ennemis. Elle était sans pitié, et cela ne lui avait pas échappé.

_ Quel était le nom du jeune homme qui l'accompagnait, déjà ? Abdoul ? Abdel... ?

_ Abel, la coupa le présumé italien d'une voix sèche.

_ Oui, Abel, concéda-t-elle sans se démonter pour autant. Eh bien, il n'a pas dû beaucoup s'éloigner de Marrakech depuis leur séparation, nous pouvons peut-être nous en servir de moyen de pression.

_ As-tu songé ne serait-ce qu'une seule seconde aux raisons qui auraient pu mener à leur déchirement, justement ?! S'il était si important aux yeux d'Esi, il serait encore à ses côtés aujourd'hui. Ce n'était qu'un simple bouche-trou pour elle, le temps que l'autre la rejoigne.

Marla se tut alors, semblant tout à coup très intéressée par la couleur de ses escarpins. Pendant ce temps, Julien réfléchissait à ce que cette dernière venait de dire. Son idée n'était peut-être pas si mauvaise, elle se trompait juste de cible. Certes, celle à laquelle il pensait pour sa part était beaucoup plus difficile à atteindre, et il faudrait employer d'autres moyens plus élaborés pour réaliser son idée, mais le jeu en valait la chandelle. De plus, il ressentait le besoin de redorer son image auprès du maître, étant conscient qu'il avait fait beaucoup de faux pas ces derniers temps et que son existence ne tenait plus qu'à un fil. La réalité était telle qu'il savait que ses jours étaient comptés s'il venait à quitter l'entreprise. Il n'aurait pas fallu qu'il en divulgue tous les secrets à peine sorti de ses locaux. Giovanni pouvait être très inventif quand il s'agissait de faire taire les gens.

Le jeune homme se jeta donc à l'eau et proposa l'idée qui venait de germer dans son esprit à la petite assemblée. D'abord dubitatif, son supérieur finit par se détendre au fur et à mesure de ses explications. Le plan était compliqué à mettre en oeuvre, mais tout à fait réalisable avec les technologies dont ils disposaient. Julien était persuadé qu'il fonctionnerait. Cela faisait des mois qu'ils observaient chacun des faits et gestes d'Esi et tentaient de leur mettre des bâtons dans les roues. Embaucher un gros pervers, des tueurs à gage, des trafiquants de drogues d'armes peu fréquentables, tout avait été tenté pour mettre fin aux jours de la jeune fille, mais elle avait survécu à chacun d'eux. Cette fois-ci, elle n'en réchapperait pas, et dans ce but, tous les coups étaient permis. La réunion s'acheva donc sur ces dernières mises au point avant d'agir. Yeleen et Esi n'avaient plus qu'à bien se tenir et profiter de leur petite escapade, car leurs jours étaient à présent comptés.

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Bonjour !

Deux chapitres en deux jours, ça change aha ! Je suis heureuse d'avoir eu le temps d'écrire autant ce week-end. J'espère que vous avez apprécié ce chapitre un peu spécial du côté sombre de la force ahaha.

On en apprend un peu plus sur cette menace qui pèse sur nos deux héroïnes. Quels secrets cache cette organisation ? Qui est ce Giovanni à l'air si machiavélique ? Beaucoup de questions restent en suspend. :p

J'attends vos impressions sur cette partie, et en attendant, je vous dis à très bientôt pour le quatrième chapitre !

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